Un jour… Un chef-d’oeuvre! (35)

Vous prendrez bien un petit grupetto? Quand le temps et l’espace se confondent, c’est sous le signe du Graal… qui en offrant la connaissance complète, génère l’Amour sublime!

35b. Sir Edward Burne-Jones,, La Vision du Graal, 1895

Sir Edward Burne-Jones, La Vision du Graal, 1895 (détail).

Richard Wagner (1813-1883), Parsifal, Acte 1, Musique de transformation consécutive à la déclaration de Gurnemanz à Parsifal, interprétée par l’Orchestre philharmonique de Vienne dirigé par Georg Solti en 1972.

35b. Parsifal Livret

Richard Wagner, Extrait du livret de Parsifal, Acte 1.

« L’extrait musical commence au trait rouge, mais ce qui concerne la nature du Graal se trouve dans les répliques qui précèdent. La musique illustre cette dernière réplique initiatique de Gurnemanz « Ici le temps devient espace ». Comment cela se fait-il… l’auditeur le plus attentif entendra que la réponse est donnée à l’orchestre par le grupetto, symbole d’Amour sublime. Parsifal n’est pas encore apte à en comprendre le sens profond… et vous? » JMO

« « Tu vois, mon fils: ici, l’espace et le temps se confondent ». Ces paroles qu’au premier acte (de Parsifal de Richard Wagner) Gurnemanz adresse à Parsifal tandis que la scène se transforme sous les yeux des spectateurs, offrent sans doute la définition la plus profonde jamais donnée au mythe. Elles apparaissent plus vraies encore appliquées au mythe du Graal, sur l’origine duquel – et sur les lieux où il a pris naissance – toutes sortes d’hypothèses furent et continuent d’être avancées.

D’aucuns se sont tournés vers l’Égypte et la Grèce antiques, et retrouvent dans les récits du Graal un écho de très vieux cultes liés à la mort et à la résurrection d’un dieu. Qu’il s’agisse d’Osiris, d’Atis ou d’Adonis, ou encore du culte de Déméter, la visite du château du Graal illustrerait alors, sous forme de vestige, une initiation manquée à un rite de fertilité. D’autres proposent une origine chrétienne qu’ils conçoivent, d’ailleurs, de façons très diverses. Sur le plan liturgique, le cortège du Graal pourrait évoquer la communion des malades, ou encore des rites byzantins: ainsi la « Grande Entrée » de l’Église grecque au cours de laquelle un prêtre blesse symboliquement le pain de l’eucharistie avec un couteau appelé « Sainte Lance ». On a aussi voulu que l’histoire du Graal symbolisât le passage de l’Ancien au Nouveau Testament, le château enchanté figurerait le temple de Salomon, […] Dans la perspective chrétienne, il serait pourtant anormal que le porteur du vausseau sacré – calice ou ciboire – fût une femme, comme le veulent les anciens récits. Celle-ci, dit-on alors, représente de manière allégorique la Sainte Église, et la visite du héros au château du Graal évoque le retour du Paradis terrestre.

Une autre exégèse s’inspire des traditions iraniennes. Elles font état d’un personnage mythique qui résolut de livrer combat aux puissances célestes à la tête d’une troupe de démons. Blessé en retombant sur terre, il dut attendre, infirme, que son petit-fils recommence le combat, le gagne et lui rende la santé du même coup. Cette fable renvoie sans doute à une théorie des philosophes hermétiques de l’Égypte hellénistique, transmise à l’Occident par les Arabes, et selon laquelle la sagesse divine serait descendue sur terre dans un grand cratère où il suffit de se plonger pour obtenir la connaissance suprême: véritable baptême de l’intellect. Ce cratère se confondrait avec la constellation du même nom. Or le mot du vieux français graal dérive du grec crater, peut-être par le latin cratis « claie » en tout cas par le bas latin gradalis « écuelle, jatte ». L’étymologie permet donc de faire du Graal un objet d’origine céleste auquel des vertus mystiques sont prêtées.

Enfin, il serait étonnant que la psychanalyse n’eût pas son mot à dire: elle se plaît à voir dans la lance saignante un symbole phallique, et dans le graal lui-même un symbole sexuel féminin, avec d’autant plus d’empressement que certaines versions décrivent la première reposant par la pointe dans le second.

[…] On retrouve dans les récits du Graal de nombreux éléments qui semblent provenir de la mythologie celtique, telle que les anciennes littératures galloise et irlandaise en ont préservé des fragments. Le Graal serait un de ces récipients merveilleux […] qui procurent à ceux qui s’en servent une nourriture inépuisable, parfois même l’immortalité. […]

Cependant, la plus ancienne version connue de l’histoire du Graal ne provient pas d’Angleterre; on la doit au poète français et champenois Chrétien de Troyes qui entreprit de la composer entre 1180 et 1190. Sa mort, survenue cette année-là ou la suivante l’interrompit en plein travail. Or Perceval, jeune héros de l’histoire, y est surnommé « me Gallois ». […] »

Claude Lévi-Strauss, De Chrétien de Troyes à Richard Wagner, article paru dans Wagner, Parsifal, L’Avant-Scène Opéra, Paris, Éditions Premières Loges, 1982, pp.8-10.

35a. Sir Edward Burne-Jones,, La Vision du Graal, 1895

Sir Edward Burne-Jones, La Vision du Graal, 1895. (complet)