Un jour… Un chef-d’œuvre (98)

« Le tout est plus que la somme de ses parties »

citation attribuée à Aristote (384-322 ACN)

Un jeune homme…

 

Les cinq visages avec le jeu de leurs regards…

Tout se joue dans le bas du tableau…

Georges de La Tour (1593-1652), La Diseuse de bonne aventure (1635).

 

Adriano Banchieri (1568-1634), Capricciata e contrappunto bestiale alla mente, pour les fêtes du Carnaval de Venise en 1608.

Nobili spettatori,
Udrete hor hora quattro belli humori:
Un cane, un cucco, un gatto, un chiù per spasso
Far contraponto a mente.
Sopra un basso.

Nullla fides gobbis;
similiter est zoppis.
Si squerzus bous est,
super annalia scribe.

Noble assistance
Maintenant vous allez entendre 4 beaux compagnons
Un chien, un chat, un coucou et une chouette pour divertissement.
Faire un contrepoint amusant
sur une basse.

En rien les bossus
ne sont similaires aux boîteux
Si le borgne bon est bon,
il serait inscrit dans les annales.

Le tableau de Georges de La Tour est conçu comme une musique polyphonique. Il fait usage de motifs divers, un jeune homme, deux jeunes filles, une vielle dame et une jeune femme, qui se succèdent et qui s’enchaînent l’un à l’autre par le jeu très subtil des regards. Mais le tableau ne prend tout son sens qu’en observant les strates horizontales non pas de gauche à droite ou de droite à gauche, mais dans leur superposition. C’est seulement alors qu’on comprend l’ensemble du tableau. Chaque partie (ou détail) peut être observée séparément, mais l’explication n’apparaît que quand on relie le tout et qu’on l’observe dans sa globalité. Il en va de même pour le contrepoint d’Adriano Banchieri, l’un des derniers madrigalistes, qui juxtapose formules musicales mélodiques et imitations animales mais qui laisse apparaître son génie dans la mise en œuvres de la totalité des voix… pour notre plus grande joie musicale. Car, à y regarder de près, une voix humaine qui imite le chien, le chat, le coucou et la chouette n’aurait que peu d’intérêt si le tout n’était pas génialement agencé polyphoniquement. Vous diriez alors: c’est un chien qui aboie, voici un chat, tiens on entend le coucou et hulule la chouette! Vous seriez comme les six aveugles de la fable orientale… qui, en y réfléchissant bien, reste d’une actualité brûlante! JMO

« Un jour de grand soleil, six aveugles originaires de l’Hindoustan, instruits et curieux, désiraient, pour la première fois, rencontrer un éléphant afin de compléter leur savoir…

Le premier s’approcha de l’éléphant
Et, alors qu’il glissait
Contre son flanc vaste et robuste,
Il s’exclama : « Dieu me bénisse,
Un éléphant est comme un mur ! ».

Le deuxième, tâtant une défense
S’écria « Oh ! Oh !
Rond, lisse et pointu !
Selon moi, cet éléphant
Ressemble à une lance ! »

Le troisième se dirigea vers l’animal,
Pris la trompe ondulante
Dans ses mains et dit :
« Pour moi, l’éléphant est comme un serpent ».

Le quatrième tendit une main impatiente,
Palpa le genou
Et fut convaincu qu’un éléphant
Ressemblait à un arbre !

Le cinquième s’étant saisi par hasard de l’oreille, dit :
« Même pour le plus aveugle des aveugles,
Cette merveille d’éléphant
Est semblable à un éventail ! »

Le sixième chercha à tâtons l’animal
Et, s’emparant de la queue qui balayait l’air,
Perçut quelque chose de familier :
« Je vois, dit-il, l’éléphant est comme une corde ! »

Alors, les 6 aveugles
Discutèrent longtemps et passionnément,
Tombant chacun dans un excès ou un autre,
Insistant sur ce qu’ils croyaient exact.

Ils semblaient ne pas s’entendre,
Lorsqu’un sage, qui passait par-là,
Les entendit argumenter.

« Qu’est-ce qui vous agite tant ? » dit-il.
« Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord
Pour dire à quoi ressemble l’éléphant ! »

Et chacun d’eux lui dit ce qu’il pensait à ce sujet.
Le sage, avec son petit sourire, leur expliqua :
« Vous avez tous dit vrai !

Si chacun de vous décrit l’éléphant
Si différemment,
C’est parce que chacun a touché
Une partie de l’animal très différente !
L’éléphant à réellement les traits
Que vous avez tous décrits. »

« Oooooooh ! » s’exclamèrent tous.
Et la discussion s’arrêta net !
Et ils furent tous heureux d’avoir dit la réalité,
Mais chacun ne détenait qu’une part seulement de la vérité. »