Un jour… Un chef-d’œuvre (105)

“La société de consommation a privilégié l’avoir au détriment de l’être.”

Jacques Delors

Alix Yves (1890-1969), Le rayon des bas de soie.

 

Glilbert Bécaud (1927-2001), Le Grand Magasin.

Au début du XIXe siècle, beaucoup de vêtements passent d’une classe à l’autre : la « marchande à la toilette » achète d’occasion des robes, des mantelets, des bonnets, qu’elle propose ensuite à de jeunes coquettes. Puis de nouveaux magasins se mettent à vendre du neuf tout fait. L’industrialisation a transformé l’offre. Un large « marché de la beauté » s’est constitué.

Le grand magasin a créé ce cadre en révolutionnant le commerce des « nouveautés » à partir des années 1860. Avec la vente à « petit bénéfice », il a provoqué la contiguïté, mais aussi la surdifférenciation de produits disponibles en un même lieu : plus de 200 types d’articles sont vendus en 1890, des robes aux parfums, à près de 15 000 clients par jour au seul Bon Marché. L’intense croissance de l’industrie, celle des publicités de presse, des réseaux urbains et ferrés, ont rendu cette évolution possible.

Spacieux, bien éclairés, avec des étalages où elles peuvent voir, palper, essayer, les grands magasins offrent aux femmes une véritable fête des yeux, du toucher, de l’imaginaire. Les courses, désormais pleines d’imprévu et de tentations, deviennent d’autant plus excitantes que les prix baissent. De modestes bourgeoises, des ouvrières même, accèdent à l’euphorie d’un choix vestimentaire jusque-là hors d’atteinte. Celle qui portait jadis pendant dix ans une robe de drap gris ou bleu sans la laver peut désormais s’offrir chaque année plusieurs robes d’indienne aux couleurs variées. […]

Avec Le Rayon des bas de soie, Yves Alix poursuit un cycle sur l’observation de la vie parisienne entamé en 1927 avec Les Vitrines et Les Parisiennes. Toutes les clientes de ce grand magasin sont habillées de la même façon. En même temps que la nouvelle manière d’acheter, Alix en montre l’effet : manteau de fourrure, chapeau cloche et talons hauts composent un uniforme. Le peintre synthétise ainsi tout le processus d’industrialisation de la mode. La scène est très structurée avec des teintes douces. La sobriété de moyens, la noblesse dans le dessin et les couleurs, magnifient les visiteuses des grands magasins. La dérision pointe également à travers ce « mécanique plaqué sur du vivant » (H. Bergson, Le Rire). Proche du cubisme, expressionniste, Alix évolue progressivement vers l’abstraction : on voit bien comment le glissement s’opère déjà dans cette œuvre où tout pousse vers une « conceptualisation » du sujet, comment il rend sensible l’idée d’uniformisation au-delà de l’expérience même du grand magasin.

L’Histoire par l’image: https://histoire-image.org/de/etudes/grand-magasin-temple-femme

Carte postale, Les Grands magasins du Louvre à Paris fin du 19ème siècle.