Guitare romantique

 

«Je suis le maître du violon, mais la guitare est mon maître », disait Niccolo Paganini (1782-1840). Le génial violoniste était aussi un guitariste qui, surfant sur la vague du succès de la guitare romantique, dans les salons, n’a pas hésité à l’utiliser pour l’accompagnement de nombreuses œuvres pour violon ni à lui composer une sonate de très grande qualité.

 

Car c’était bien la vogue de cet instrument qui séduisait les amateurs de musiques de salon. L’instrument n’était pas encore celui que nous connaissons aujourd’hui. On ne connaît pas la date précise où la guitare à six cordes simples a remplacé les six doubles cordes de la guitare dite classique (souvenons-nous que la guitare baroque avait quatre doubles cordes et une chanterelle, la plus aigue, simple) créant alors ce qu’on appelle la guitare romantique. Ce dont on est sûr, par contre, c’est que cette dernière éclipse toutes les autres formes de l’instrument dès le début du XIXème siècle. Aujourd’hui encore, la guitare possède le même nombre de cordes et le même accord. Mais ce n’est pas tout. La rosette est remplacée par un trou plus grand (la rosace), le manche est allongé et se prolonge désormais jusqu’à la rosace en étant surélevé sur la table d’harmonie. Ce manche est désormais muni de 19 frètes métalliques fixes. Pour augmenter sensiblement son volume sonore, la caisse est élargie et le barrage en éventail (à l’intérieur de la caisse, sous la table d’harmonie), favorise la qualité et augmente le volume du son. Les cordes aigues sont en boyau, et les graves sont en fil de soie filé de métal (les cordes en nylon n’apparaitront qu’après la Seconde Guerre mondiale). Enfin, l’écriture en tablature disparaît définitivement au profit d’une portée traditionnelle en clé de sol. La guitare s’écrit donc une octave au dessus de sa hauteur sonore réelle.

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La guitare romantique

 

Toutes ces innovations faisaient de l’instrument, léger et facile à emporter, une nouveauté qui allait envahir les salons grâce à de grands virtuoses-compositeurs développant la technique instrumentale et reprenant des variations acrobatiques sur des mélodies populaires ou des airs d’opéras favoris. Mauro Giuliani (1781-1829) fut sans doute le plus sensationnel de tous, le « Paganini » de la guitare.

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Mauro Giuliani

 


 

Originaire de la région des Pouilles en Italie, Giuliani étudia d’abord, très jeune, le violoncelle dans la petite ville de Barletta. Il ne cessera jamais complètement la pratique de cet instrument et son niveau fut suffisant pour qu’il fasse partie, à Vienne en 1813, de l’orchestre qui créa la Septième symphonie de Beethoven. Il est également probable qu’il étudia le violon. Pourtant, il dédia l’essentiel de sa vie à la guitare, devenant le plus grand virtuose européen en très peu de temps. Il se maria à Barletta en 1801, eut un enfant, mais quitta sa famille pour approfondir ses connaissances en écriture musicale par des cours de contrepoint à Bologne et à Trieste. Il s’installe alors seul à Vienne en 1806 et il y rencontre une certaine demoiselle Willmuth avec laquelle il aura une fille, Maria née en 1807.

 

À Vienne, il se fit connaître dans les milieux musiciens grâce à sa virtuosité. Il commença à publier ses œuvres écrites dans un style purement classique. Très demandé, Giuliani fit de nombreuses tournées de concerts à travers toute l’Europe et, partout, fut acclamé tant pour sa virtuosité que son goût musical. Considéré à l’égal des plus grandes vedettes de l’époque, le guitariste devint très célèbre.

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La guitare de Mauro Giuliani

 

En fait, Giuliani fut l’artisan du rôle nouveau que devait jouer la guitare de l’Europe romantique. Il permit à l’instrument d’entrer dans le cercle très fermé des plus hautes couches de la société viennoise et sa musique fut aussi appréciée que celle de Rossini, qui triomphait alors, et de Beethoven. Il se produisit d’ailleurs avec tous les grands solistes du temps comme Hummel et Moscheles, par exemple. En 1815, il fut invité à donner un concert officiel dans le cadre des célébrations du Congrès de Vienne.

 

Sa célébrité viennoise était due à sa virtuosité, pas à ses compositions. Ainsi, pour chercher à mieux diffuser son œuvre, Giuliani, qui travaillait avec l’éditeur viennois Artaria, négocia également avec de petites maisons locales, à travers l’Europe, qui contribuèrent à répandre ses compositions un peu partout, profitant de la nouvelle vogue de la guitare. Il devint également un professeur de guitare réputé avant de quitter Vienne en 1819, accablé par des dettes et poursuivi par ses créanciers.

 

Il rentra en Italie, erra à Trieste et à Venise avant de s’installer à Rome avec ses filles illégitimes Emilia et Maria, toutes deux de futures excellentes guitaristes. Mais dans la capitale italienne, Giuliani n’eut pas de succès. Il publia seulement quelques œuvres et n’y donna qu’un seul concert. À partir de 1823, il fit de nombreux séjours à Naples où son père était très malade. Il en profita pour se faire reconnaître musicalement parlant et le succès fut à nouveau au rendez-vous. Il y donna de nombreux concerts en solo ou en duo avec Emilia. C’est ce que les musicologues appellent  la période napolitaine de Giuliani.

 

Mais à partir de 1826, sa santé s’altéra rapidement et il mourut à Naples le 8 mai 1929 à l’âge de 48 ans.

 

Giuliani chercha à appliquer à la guitare les formes que les autres musiciens utilisaient pour le piano. Ainsi, les nombreux thèmes et variations qui, en transformant des mélodies d’autres artistes, permettaient d’exploiter les ressources de la guitare et de la hisser au niveau des virtuosités nouvelles et acclamées au début du XIXème siècle. Les Variations sur un thème de Haendel restent sans doute l’une de ses plus belles réussites.

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Les grandes formes, sonates et concertos, manquent encore énormément au répertoire de la guitare à l’aube du romantisme. Giuliani cherchera à combler ce vide. Les enjeux sont énormes. Soit la guitare ne permet que le jeu de pièces de petites dimensions et elle reste confinée aux salons à la mode, soit on lui crée un répertoire digne de ce nom et on la propulse dans les salles de concert. C’est le développement de l’instrument que choisi Giuliani, à l’inverse, d’ailleurs, de son collègue espagnol Fernando Sor (1778-1739), plus souvent cantonné dans un répertoire de salon. Giuliani composa trois concertos pour guitare et orchestre qui, dans le style du dernier classicisme, permet à l’instrument d’acquérir ses lettres de noblesse sur la grande scène.



 

Mais la dimension du salon et de la petite assemblée reste malgré tout la norme de cet instrument qui, à cause sa sonorité assez faible, ne deviendra jamais l’égal du piano ou du violon dans les très grandes salles. Ainsi, les amateurs de musique aimaient retrouver, dans les salons, les grands succès de l’opéra dans des paraphrases instrumentales. On connaît les nombreuses pièces de Liszt basées sur les opéras romantiques. Giuliani, en toute modestie, fait de même avec les mélodies favorites des opéras de Rossini. Ainsi, ses six Rossiniane sont des sortes de pots-pourris des airs les plus connus traités avec une virtuosité exceptionnelle, assez proche, finalement, des œuvres de Paganini. La deuxième Rossiniane que vous pourrez écouter ci-dessous débute par une introduction, entame ensuite un air d’Otello encore assez lent. La pièce se poursuit par « Arditi all’ire » tiré d’Armida. C’est alors un air de Cendrillon, de la pie voleuse (« Di piacer mi balza il cor »). La pièce se termine par un retour à Cendrillon avec un brio exceptionnel.


 

 

Mauro Giuliani était un guitariste hors pair et ses œuvres restent très ardues à jouer, même avec les techniques modernes de jeu. Il aura permis à la guitare de profiter d’une première grande vague de popularité dans l’Europe musicale. La guitare moderne lui doit beaucoup, il représente l’un des plus beaux aspects de la musique romantique pour guitare. Si les salons étaient truffés de guitaristes plus ou moins brillants, il faut admettre que Giuliani et Sor furent les étoiles les plus saisissantes de toute cette époque. Une bonne raison pour ne pas les oublier… !