Une découverte majeure…!

Je vous ai souvent parlé de l’église Saint-Pierre de Hollogne-aux-Pierres, celle dont l’insalubrité a nécessité sa « déconstruction ». Depuis le début des travaux, j’ai suivi de près les différentes étapes de la destruction, photographiant presque chaque semaine l’état du chantier. Je vous en ferai un petit résumé dans quelques temps. Le résultat est saisissant pour qui a vu toute sa vie cet édifice remplir un espace géographique et social considérable entre les deux places du village. Aujourd’hui, il ne reste que la tour classée qui se dresse encore majestueusement comme un ultime témoignage d’une vie spirituelle en l’endroit.

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Mais depuis quelques temps, il semble que le chantier soit à l’arrêt complet et qu’un autre type de travailleurs ait envahi le site… des archéologues ! En procédant aux excavations, un ouvrier de l’entreprise de démolition a trouvé un étrange objet, dissimulé sous les dalles en pierres noires de la tour. Perspicace, il a cru identifier un ancien instrument de musique qui ne ressemblait en rien à ce qu’il connaissait. L’entreprise a fait appel d’abord à un historien local qui, devant l’ampleur de la découverte, fit appel aux services des fouilles de l’ULiège. Dépêché sur place, l’organologue de service (spécialiste des instruments de musique), après avoir été dubitatif quelques temps, a bien du se rendre à l’évidence, il s’agissait bien d’un instrument de musique très rare et très ancien, seulement connu jusqu’alors en Orient, l’Ichthusophone.

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Palmyre en Syrie

En effet, dès 2011, une découverte remettait profondément en question la connaissance que nous avons de la musique très ancienne. Des archéologues syriens venaient de mettre à jour les  restes d’instruments de musique jusqu’alors inconnus. Il s’agissait probablement d’instruments mixtes munis à la fois de cordes (dont on ne sait pas si elles étaient pincées à l’aide des doigts ou frottées par un archet) et d’un tube percé de trous qui supposerait qu’on y insuffle de l’air. Les premières datations semblent indiquer que ces instruments furent fabriqués dans les premiers siècles de l’ère chrétienne et que leur usage se soit poursuivi jusqu’au 7ème siècle. Ils constituent une famille complète allant du tout petit instrument, aigu (pas plus de 15 cm de longueur) au plus grand et donc plus grave qui mesure…1m10. Entre ces deux extrêmes, au moins quatre longueurs différentes conduisent les organologues à considérer qu’ils devaient être joués en formation orchestrale comme cela se faisait au 16ème et 17ème siècles en Angleterre pour les « Consorts of Viols ».

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Ce nouveau type d’instruments hybrides a été nommé l’Ichthusophone par les archéologues occidentaux. En effet, sa forme rappelant la « dorade royale » est prolongée par un petit manche probablement monté de trois cordes. Il pourrait remettre en cause les techniques de récitation et de déclamation des textes sacrés et profanes considérés jusqu’ici comme « a capella ». Cela supposerait aussi qu’une polyphonie, voir une harmonie existerait dans les traditions musicales très anciennes du Proche-Orient. A défaut de manuscrit témoignant des usages de l’époque, les musicologues en sont réduits à des hypothèses qui, depuis 2011 sont restées sans lendemain !

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Copie approximative de l’ichthusophone

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La dorade royale

La découverte hollognoise est d’autant plus interpellante qu’aucun autre instrument de ce type n’avait plus été retrouvé depuis 2011 et qu’on n’en avait aucune trace en Europe. Comment l’instrument a-t-il pu arriver chez nous bien avant la construction de l’église Saint-Pierre ? Personne ne peut répondre actuellement à cette question. Je me souviens qu’il y a bien longtemps, alors que des travaux d’aménagement de la Place de l’Église étaient en cours, on avait découvert un cimetière mérovingien qui avait, lui aussi, livré quelques objets surprenants et inhabituels pour nos régions. Sommes-nous en présence d’un lieu où des voyageurs venus d’Orient se seraient installés, premiers migrants accueillis dans nos régions ? Sont-ce, au contraire, des protos-hollognois qui auraient ramené de Syrie, des objets sacrés, symboles des premiers chrétiens ? Nul ne le sait aujourd’hui. Mais ce qui est sûr, c’est que la forme curieuse de cet instrument devait véhiculer un symbole chrétien important et permettait, dans un environnement hostile, de se reconnaître et de partager un propos spirituel commun. On se souviendra que le poisson fut un symbole très usité dans les premiers temps de l’ère chrétienne. En témoigne ces quelques informations glanées sur Wikipédia :

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Raphaël, La Vierge au poisson

L’ichthus (du grec ancien ἰχθύς / ikhthús, « poisson ») est un symbole qu’utilisaient les premiers chrétiens en signe de reconnaissance. Il est devenu au 20ème siècle un symbole graphique représentant un poisson formé de deux arcs de cercle, ainsi qu’un acronyme (ou un acrostiche).

Le poisson représente l’eau du baptême. Par ailleurs, le mot forme, en grec ancien (langue véhiculaire davantage parlée dans l’Empire romain que le latin), un jeu de mots puisque c’est aussi l’acrostiche du nom attribué à Jésus sur laquelle repose la foi chrétienne (saint Jean, 1° Épître, 3:23, Croire que Jésus est le Christ c’est-à-dire le Messie attendu des Juifs), Saint Pierre, première épître : « Tout repose sur le Nom de Jésus »).

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« Ajoutez à cela que, si l’on joint ensemble les premières lettres de ces cinq mots grecs que nous avons dit signifier Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur, on trouvera Ichthus, qui veut dire en grec poisson, nom mystique du Sauveur, parce que lui seul a pu demeurer vivant, c’est-à-dire exempt de péché, au milieu des abîmes de notre mortalité, semblables aux profondeurs de la mer. » Saint Augustin, La Cité de Dieu, XVIII, 23

I (I, Iota) : Ἰησοῦς / Iêsoûs (« Jésus »)

Χ (KH, Khi) : Χριστὸς / Khristòs (« Christ »)

Θ (TH, Thêta) : Θεοῦ / Theoû (« de Dieu »)

Υ (U, Upsilon) : Υἱὸς / Huiòs (« fils »)

Σ (S, Sigma) : Σωτήρ / Sôtếr (« sauveur »)

Ce qui est traduisible par « Jésus-Christ fils de Dieu, sauveur ». Pour certains, il représente en même temps l’Eucharistie, c’est-à-dire le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité de Jésus-Christ, ce qui nous ramène à la fête du jour, Pâques.

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La découverte est importante, vous le comprenez, mais il est impossible d’en dire plus aujourd’hui. L’unique instrument retrouvé à Hollogne est un exemplaire de grandeur moyenne, 60 cm de longueur totale pour 47 cm de largeur pour la partie à cordes. Le tube, quant à lui, est percé de quatre trous qui semblent indiquer la possibilité de réaliser les cinq notes d’une gamme pentatonique. Il serait, mutatis mutandis, l’alto de la famille décrite ci-dessus. Une dernière hypothèse, très intéressante pourrait éclairer le lecteur. La voici dans toute sa simplicité : 

Pièce avec des instruments de musique et des poissons de vol, dessin.jpg

« La tradition du poisson d’avril, qui consiste en un canular que l’on fait le premier avril, trouverait son origine en France en 1564. Jusqu’alors, l’année aurait commencé au premier avril, mais le roi de France Charles IX décida, par l’édit de Roussillon, que l’année débuterait désormais le premier janvier, marque du rallongement des journées, au lieu de fin mars, arrivée du printemps. Mais en fait, l’année civile n’a jamais débuté au début avril. Si l’origine exacte de l’utilisation des poissons reste obscure (peut-être l’Ictus chrétien), la légende veut que plusieurs de ses sujets se rebiffèrent à l’idée qu’on chamboulât le calendrier et ils continuèrent à célébrer les environs du premier avril. Pour se payer leur tête, des congénères profitèrent de l’occasion pour leur remettre de faux cadeaux et leur jouer des tours. Ainsi naquit le poisson, le poisson d’avril, le jour des fous, le jour de ceux qui n’acceptent pas la réalité ou la voient autrement. Plusieurs usages semblent s’être en fait mélangés avec celui du carnaval. » Wikipédia.

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L’origine mystérieuse du symbole du poisson pourrait être en rapport avec la sortie du signe zodiacal des Poissons, dernier signe de l’hiver. Il pourrait aussi vouloir prolonger le Carême, où il n’était permis de manger que du poisson. Il pourrait encore être en liaison avec la farce faite au benêt en lui offrant du poisson à une époque de l’année, celle du frai, où la pêche est interdite. Encore très pratiquée dans nos régions, la tradition veut que les enfants accrochent dans le dos de leurs parents ou professeurs un poisson en papier sans qu’ils s’en aperçoivent. 

Alors, honnêtement, vous y avez cru à mon ichthusophone… ?

 

8 commentaires sur “Une découverte majeure…!

  1. J’y ai tellement bien cru que j’étais sur le point de mener une enquête complémentaire pour faire un papier dans la Gazette! Oups!!! Bravo, ! l’idée était géniale et parfaitement développée!

  2. Bonjour!
    Si chaque année, tu mets au jour une nouvelle version de l’Ichtus, tes découvertes successives te conduirons à reconstituer le grand orchestre romantique du Jurassique Supérieur et son chef l’Ichtyosorus Rex!!
    Elle est bien bonne et j’ai eu du plaisir à lire ton mot jusqu’au bout.

  3. J’y ai presque cru……. la « photo » de l’instrumaent alimentant ( hélas ) le doute !
    Sinon, article bien intéressant.

  4. Très bien fait, mais je ne suis pas tombé dans le panneau dès le nom de l’instrument… c’était un peu gros quand même. C’est pas loin du Turlusiphon ou du Gafophonne …
    Cependant quel plaisir de lire ta prose .
    Amitié
    Jiji

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