Charles Trenet à l’U3A…

Nous aurons bientôt la chance de pouvoir écouter, une nouvelle fois, deux musiciens exceptionnels à l’U3A. Lors du prochain concert, nous accueillerons la magnifique soprano Fuyu Saito et l’extraordinaire pianiste Shota Ezaki, tous les deux brillamment diplômés de notre Conservatoire royal de Liège. Dans la carte blanche que je leur ai laissée pour nous concocter un programme, ils ont été surprenants et très originaux. Je ne reviens pas ici sur l’intégralité de leur prestation qui alliera les pièces pour piano seul et les mélodies vocales, mais je voulais mettre en évidence une œuvre que peu de mélomanes et de musiciens connaissent, les Six Chansons de Charles Trenet arrangées pour piano par le grand virtuose Alexis Weissenberg… ! Le grand pianiste Marc-André Hamelin, séduit par ces pièces découvertes dans les années 1950, en réalisa une partition qui fut tout récemment éditée par… notre invité du jour Shota Ezaki. C’est aussi lui que vous retrouverez sur l’enregistrement YouTube ci-dessous… Ce sera, à n’en pas douter, un moment exceptionnel dans la Petite Histoire des Concerts de l’U3A.

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Je prends, ci-dessous, la liberté de publier le texte de préface que Marc-André Hamelin a publié en préface à la partition.

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Marc-André Hamelin

« Aux alentours de 1956, un disque 45 tours de longue durée intitulé Mr. Nobody plays Trenet parut chez Lumen, un label classique belge. Il renfermait des arrangements pianistiques de facture étonnante de six chansons de l’auteur-compositeur  Charles  Trenet  (1913-2001).  L’identité  de  ‘Mr.  Nobody’  fut  inconnue  jusqu’à  assez récemment, lorsqu’il fut révélé qu’il s’agissait d’Alexis Weissenberg. Jusqu’à ce que je le rencontre pour la première fois en 2004, il m’avait semblé que la raison pour laquelle l’enregistrement n’avait pas paru sous son propre nom était probablement qu’à cette époque, un pianiste de musique classique ne pouvait se permettre de barboter dans quelque chose d’aussi trivial que la chanson populaire sans mettre sa carrière en danger. (Comme les temps ont changé! Ce genre de choses est bienvenu, encouragé même, par les maisons de disques ces temps-ci.) Mais en fait, il m’a dit qu’il ne croyait pas que le résultat avait été assez bon!

Charles Trenet

Charles Trenet (1913-2001)

Tous ceux qui connaissent bien les versions originales des chansons de Trenet ne manqueront pas d’être agréablement surpris de ce que Weissenberg en a fait. Ses arrangements fourmillent de détails fascinants: dans Coin de rue – une évocation de l’enfance du narrateur – l’auditeur est renvoyé aux sons de l’orgue de barbarie; le rythme ‘oum-pa’ de Boum! est transformé en fox-trot; Vous oubliez votre cheval prend des allures de Charleston; le début d’En avril à Paris évoque un carrousel, tandis que le rythme décontracté de Ménilmontant devient un mouvement perpétuel vertigineux.

Alexis Weissenberg

Alexis Weissenberg (1929-2012)

Dès l’instant où je fus initié à cet enregistrement par un ami, j’ai moi-même voulu jouer ces arrangements. Mais ne sachant pas si Weissenberg en avait laissé une trace écrite, j’ai dû créer une partition en transcrivant la musique à l’oreille. Par bonheur, cette expérience s’est avérée plaisante de bout en bout, même si elle m’occupa pendant un mois entier; la clarté du jeu de Weissenberg m’en facilita grandement la tâche. J’enregistrai ensuite ces pièces pour le label Hyperion dans un disque s’intitulant In a State of Jazz. (Allez aussi sur le site 78experience.com pour entendre la version de Weissenberg remarquablement repiquée sur CD.)

8. Shota Ezaki

Shota Ezaki

Quelques  années  plus  tard,  j’eus  l’agréable  surprise  de  recevoir  un  courriel  de  María,  la  fille  cadette  de Weissenberg, et qui renfermait un scan de quatre de ces six arrangements, de la main même de son père! Ces manuscrits sont extrêmement révélateurs à plusieurs égards; par-dessus tout, ils nous apprennent que Weissenberg ne s’est pas toujours tenu strictement à ce qu’il avait écrit. Il m’a donc semblé évident que, si ces pièces venaient à être publiées, une double présentation serait nécessaire, afin d’être en mesure d’établir plus facilement une comparaison entre le manuscrit et ce qu’on entend dans l’enregistrement.

La version étiquetée « Manuscript » reproduit fidèlement l’autographe de Weissenberg. Quelques corrections éditoriales mineures ont dû être ajoutées aux endroits où la notation s’avérait par trop approximative. Il a été nécessaire par endroits de réécrire légèrement certains passages qui n’étaient visiblement destinés qu’à la seule compréhension de Weissenberg, afin de les rendre lisibles par chaque pianiste. Les passages abréviés ont ainsi été développés in extenso et quelques rythmes erronés ont été corrigés.

Alexis_Weissenberg

La version étiquetée « Recording » représente ma propre transcription à l’oreille du jeu de Weissenberg. J’ai été grandement aidé dans cette tâche par le logiciel Amazing Slow Downer, car sans lui il m’aurait été impossible de déterminer exactement ce qui était joué. Dans les cas où le jeu de Weissenberg n’était pas complètement clair, ou quand certaines notes étaient carrément fausses, j’ai eu recours au manuscrit. Enfin, dans le seul but de donner à une partition d’apparence plutôt sèche un aspect plus savoureux et inspirant, je me suis permis d’habiller la partition à l’aide de quelques indications supplémentaires, tentant de recréer le plus fidèlement possible le climat interprétatif de l’enregistrement.

7. Fuyu Saito

Fuyu Saito

Après avoir reçu plusieurs demandes pour ces partitions au cours des années, je me réjouis du fait qu’elles soient enfin disponibles. Que Shota Ezaki de Muse Press soit chaleureusement remercié pour avoir réalisé cette édition avec tant de soin. Nous souhaitons également, lui et moi, exprimer notre gratitude envers Cristina, María et David Weissenberg, sans qui cette publication n’aurait pu voir le jour. Il nous faut aussi mentionner le travail que María a effectué ces dernières années. Elle a réussi à construire un fonds de recherche qui englobe l’oeuvre de son père en tant qu’interprète et en tant que compositeur. Le résultat de son travail infatigable se trouve sur le site alexisweissenbergarchive.com. »

Marc-André Hamelin (Traduction: François Deppe)

Fuyu Saito et Shota Ezaki

Alors un seul mot d’ordre… rejoignez-nous pour profiter d’un concert extraordinaire qui proposera, outre ces Six Chansons de Trenet, des œuvres de F. Poulenc, Claude Debussy, Serge Rachmaninov et Alistair Hinton… ! C’est le mercredi 20 mars à 18H dans la Salle 11 de l’U3A de Liège ! Venez nombreux !