Un jour… Un chef-d’œuvre (159)

 

Le luthier pose l’Âme d’un violon sous le chevalet, dans l’intérieur des deux tables de l’instrument; un chétif morceau de bois lui donne ou lui ôte une âme harmonieuse.

Questions sur l’Encyclopédie par des amateurs (1770),  article sur l’Âme par Voltaire (1694-1778)

 

Orazio Gentileschi (1563–1639), Jeune femme jouant du violon.

 

Johann Sebastian Bach (1685-1750), Sonate pour violon et basse continue en mi majeur BWV 1016, III Adagio ma non tanto, interprété par Frank Peter Zimmermann (violon) et Enrico Pace (piano).

Le luthier place l’âme du violon avec une redoutable précision.

L’âme et le violon

Sur les cordes du temps pleure l’archet d’un cœur,
Monotones sanglots d’une vie intérieure
Jouant au violon la complainte des jours,
Lancinante musique des larmes de l’amour.

Dans le puits de mon âme résonne le silence
Et mon cri monocorde tombe sans complaisance ;
Aucune note gaie ne vient troubler la pluie,
Amère mélodie d’une vie qui s’enfuit.

Romances en caprices, votre chant indispose
Et mon cœur, assourdi, dans sa geôle repose,
Imagine cortège à la marche funèbre
De l’ultime soupir jeté dans la Ténèbre.

Où est le musicien à la main de caresse
Qui essuie la tristesse d’un revers de tendresse,
Endiable la vie, ensorcelle l’arpège,
Et sous ses doigts de joie, la nostalgie allège ?

Michèle Brodowicz (née en 1955)

Johann Sebastian Bach (1685-1750), Sonate pour violon et basse continue en mi majeur BWV 1016, IV Allegro, interprété par Frank Peter Zimmermann (violon) et Enrico Pace (piano).

 

En savoir plus sur l’âme d’un violon…

Qu’est-ce que l’âme du violon?
Avant tout, l’âme du violon est une fine baguette d’épicéa qui se trouve coincée entre la table d’harmonie et le fond. En fait, cela signifie qu’elle n’est pas collée mais parfaitement ajustée et glissée en passant à travers les ouïes. Elle se dresse verticalement à un point bien précis et représente en fait l’origine de la vibration de la table. Sa position et son inclinaison son déterminante pour le son autant que pour l’équilibre de la structure. D’ailleurs, le contact entre ses deux extrémités et les surfaces internes de l’instrument doivent aussi être impeccable pour assurer la plus grande transmission et stabilité.

Sans âme, l’instrument devient fragile, autant dans la structure que dans le son. Si celle-ci venait à tomber, il faut immédiatement détendre les cordes et l’amener chez le luthier pour qu’il puisse la remettre en place.

Ajustement de l’âme du violon
Le luthier taille et positionne lui-même l’âme du violon dans chaque instrument. Chacune d’entre elle doit être taillée selon des critères bien précis pour donner les meilleurs résultats sonores et structurels. C’est une opération précise et délicate dans laquelle l’artisan met à contribution toute son expérience. Il utilise non seulement des matériaux rigoureusement sélectionnés mais aussi des outils spéciaux.

La sélection du bois de l’âme du violon.
La sélection du bois qui constitue l’âme est d’une importance capitale. Premièrement, le luthier choisit un bois bien sec, exempt de défauts et aux lignes régulières. Ainsi, les vibrations sont bien transmises entre la table et le fond, garantissant une sonorité optimale. Ensuite, il faut choisir un diamètre pour la baguette. Celle-ci devra non seulement être assez fine pour passer à travers les ouïes mais également correspondre à l’orientation sonore que l’on veut donner à l’instrument. En effet, une baguette fine favorisera théoriquement les fréquences graves, alors qu’une plus épaisse filtrera d’avantage les fréquences et précisera le son. Mais la différence n’est en fait que de l’ordre de quelques millimètres.
Idéalement, ces baguettes sont travaillées à partir de bois d’épicéa fendu puis tourné au diamètre désiré afin de fournir une résistance et une transmission supérieures.

Ajustement et position de l’âme du violon
Une âme se taille sur mesure pour chaque violon, alto ou violoncelle. Celle-ci doit épouser parfaitement les surfaces de la table et du fond afin de garantir une adhérence et un support maximum. De même, elle doit être bien droite pour transférer avec efficacité toute la tension des cordes sur le fond de l’instrument. Il existe un positionnement standard, du côté des aiguës et un peu en retrait par rapport au chevalet. C’est à partir de ce point que l’on peut décider d’ajuster légèrement le positionnement et la tension.

Lorsque on parle de tension de l’âme, il s’agit de la force avec laquelle celle-ci est mise en place. Dans l’idéale, il faut une tension assez prononcée pour que l’âme reste en place, mais pas trop importante pour déformer les voûtes. Une trop courte n’aura pas assez de tension, et aura tendance à se déloger souvent. Une âme trop longue appliquera trop de tension sur les voûtes, pouvant endommager le bois voir même fracturer la table ou le fond.

D’ailleurs, pour contrôler si l’âme a été trop forcée dans votre instrument, il suffit de regarder la patte supérieure de l’ouïe du côté des aigus. Si vous voyez qu’elle est surélevée, c’est soit qu’elle est encore trop forcée aujourd’hui, soit qu’elle l’a été dans le passé et que la voûte a été déformée.

Pour ce qui est du positionnement, j’aime me représenter l’âme comme l’origine de la vibration. En fonction de sa position, le point d’origine de la vibration changera de même que le timbre. Ainsi, éloigner l’âme du chevalet renforcera le côté sombre de l’instrument, le rapprocher favorisera sa clarté. Mais cela reste de la théorie car en pratique, les surprises sont souvent au rendez-vous.

Les outils pour travailler l’âme du violon
Le processus d’installation d’âme est difficile à cause de l’accès restreint, bien sûr, mais aussi par le manque de visibilité et de lumière. C’est pour ça que les luthiers ont mis au point et utilisent de nombreux outils qui ne sont utilisés que pour cette opération. Cependant, pour tailler la baguette, la plupart des luthiers ne se servent que d’un canif ou ciseau à bois particulièrement bien affûté.

Guillaume Kessler, Luthier à Strasbourg… à découvrir.