Un jour… Un chef-d’oeuvre! (75)

« Hélas! Hélas! Mon canari est mort.
À qui puis-je dire ma détresse,
à qui faire part de mon amertume,
qui prendra ma peine à cœur,
auprès de qui puis-je déplorer cette perte? »

75a. Charles Spencelayh (1865-1958), Son premier chagrin, 1910 (détail)

Charles Spencelayh (1865-1958), Son premier chagrin, 1910 (détail)

Georg Philipp Telemann (1681-1767), Cantate oder Trauer-Music eines kunsterfahrenen Canarienvogels: eine tragikomische Kantate (Cantate ou Requiem pour un Canari connaisseur d’art), interprétée par Dorothee Mileds et le Bach Concentus, dirigé par Ewald Demeyere.

« Georg Philipp Telemann, bien que considéré à son époque comme le plus grand compositeur allemand, reste aujourd’hui souvent dans l’ombre de son ami et collègue Johann Sebastian Bach. Son oeuvre, par son immensité – il a écrit une trentaine d’opéras, plus d’un millier de cantates, quarante six passions, un grand nombre d’oratorios et autres œuvres religieuses, plusieurs centaines de suites orchestrales, une multitude de concertos et d’œuvres de musique de chambre – est souvent qualifiée de nos jours de superficielle. Pourtant, malgré sa prodigalité, Telemann visait à produire en toutes circonstances une oeuvre de qualité et parvenait, en outre, à faire preuve, musicalement, d’un talent humoristique hors pair, frisant même par moments le scabreux.

La Cantate ou Requiem pour un Canari connaisseur d’art semble être non seulement comique, mais aussi en partie sincère. Il s’agit d’une composition de circonstance – on ignore s’il s’agit d’une commande – dont texte et musique sont intimement liés par la rhétorique. Le caractère plaintif de l’air d’ouverture Hélas! Mon canari est mort, est rendu par de nombreux motifs de soupirs.

« Dévore, jusqu’à ce que ta gorge en gonfle,
Dévore, toi l’hôte impudent (la mort)!
Que l’oiseau te déchiquette, te déchire
Et le lacère l’estomac et les viscères
au point que tu le recraches;
dévore et crève ici même! »

Dans le troisième air, le tempo enjoué et les notes répétées illustrent d’une part comme la Mort dévore l’oiseau et, d’autre part, comment l’oiseau, selon les désirs de son malheureux propriétaire, pourrait, depuis les entrailles de la Mort, déchirer et détruire cette dernière.

« Mon canari, bonne nuit!
Le peuple des airs se noiera en mer
Avant que je n’oublie ton zèle fidèle
Tant tu as fait de ton mieux auprès de moi. »

Le moment le plus émouvant de cette musique de requiem est sans doute l’air final, Mein Canarin gute Nacht, sorte de lamento dans le caractère d’une sarabande où le poète fait ses derniers adieux à son canari défunt. »

75b. Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), Jeune fille avec un canari mort, 1765

Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), Jeune fille avec un canari mort, 1765.

Tout ceci n’est pas sans rappeler l’amour d’un autre musicien pour ses oiseaux domestiques… un certain Wolfgang Amadeus Mozart qui, manifestement, possédât à Salzbourg un canari bien-aimé. Mozart a écrit de Naples à sa sœur Nannerl à Salzbourg (19 mai 1770), alors qu’il était en voyage avec son père Léopold: « Écris-moi, comment va Mr. Canari ? Est-ce qu’il chante encore? Est-ce qu’il joue encore? Savez-vous pourquoi je pense au canari? Parce qu’il y en a un dans notre antichambre qui fait les mêmes petits sons que le nôtre. »

75b. Canari

Puis, bien plus tard, alors qu’il est à Vienne, il rédige de sa plume un poème funèbre pour son cher étourneau… « Il a souvent écrit des vers, la plupart du temps, seulement d’un genre humoristique. Ce fut le cas, entre autres, à la mort d’un étourneau sansonnet très aimé, pour lequel il avait installé une pierre tombale dans son jardin, et sur laquelle il avait écrit une inscription. Il aimait beaucoup les animaux et, en particulier les oiseaux. » Franz Niemetschek

75c. Poème étourneau de Mozart, 1787

75. Étourneau sansonnet, Sturnus vulgaris.

Étourneau sansonnet, Sturnus vulgaris.

À suivre…