Un salon à Paris…

Nous avions la chance de recevoir un duo rare et original ce mercredi à l’U3A de Liège, l’occasion de découvrir un répertoire peu connu que le tout jeune Duo Emaho nous proposait. Original, car la formule harpe et piano est en effet peu courue. Pourtant, elle ne manque pas de séductions diverses et d’atouts. Nos deux musiciennes du jour, Primor Sluchin, harpiste à l’Opéra royal de Wallonie et professeure au Conservatoire de Liège, en duo avec l’excellente Maud Renier, que je ne vous présente plus tant elle est présente dans nos concerts, ont réussi à captiver une salle quasi comble pour le dernier concert du mercredi de la saison. Quant à moi, je me faisais, avec joie, le Monsieur Loyal de la soirée en présentant le programme que ces dames nous avaient concocté.

D8N_6929

Toutes les photos sont de Jean Cadet

Loin de faire un compte-rendu du programme interprété, j’accompagnerai les traditionnelles photos souvenirs de cette soirée inoubliable pas quelques brefs commentaires. Le programme, titré Opéra et moi, abordait une pratique disparue aujourd’hui qui consistait, dans les salons à la mode, à interpréter des pièces qui rappelaient les airs des grands opéras qui triomphaient sur les scènes. Aujourd’hui, nous possédons tous les enregistrements que nous voulons et il est aisé de retrouver l’air qui nous a plu lors d’une représentation au théâtre ou à l’opéra. Il est d’ailleurs bien possible que le développement de l’enregistrement et de la reproduction sonore soit l’une des causes de la forte diminution de la pratique musicale en privé.

D8N_6917.jpg

Le récital du Duo Emaho débutait par une pièce de Jean-Baptiste Cardon (1760-1803), un virtuose de la harpe devenu maître de musique auprès à la cour de Catherine II en Russie, auteur de nombreuses pièces de virtuosité et de méthodes sur l’art de jouer son instrument.

D8N_6919.jpg

Si la vogue de la harpe s’est installée dans les salons français d’abord, c’est parce que la dauphine, puis reine de France, Marie-Antoinette avait débarqué de sa Vienne natale avec la harpe qu’elle pratiquait avec passion. Ce que la reine aime, tout le monde l’aime ! La harpe vit alors une popularité telle que près de 200 magasins de harpe et 56 professeurs officient à Paris sous le règne de Louis XVI… on peut sans gêne parler d’une véritable harpomania ! Souvenons-nous que Mozart avait écrit à Paris, en 1778 son superbe Concerto pour flûte et harpe.

D8N_6941

La pièce de Cardon, tirée d’une ariette d’opéra comique est virtuose et témoigne des sonorités recherchées dans la finesse du jeu. L’équilibre avec le piano est parfait et le charme opère dès les premières notes offrant aux mélomanes présents un monde sonore inouï.

D8N_6939.jpg

Suit une rareté du répertoire original pour harpe et piano, une pièce d’un compositeur de chez nous et pourtant inconnu, Félix Godefroid (1797-1848). Originaire de Namur et d’un père musicien, fondateur d’une école de musique à Boulogne-sur-Mer, il est passionné de harpe et devient l’un des élèves du premier professeur de harpe du Conservatoire de musique de Paris, François-Joseph Naderman. Il écrit de nombreuses pièces de haute virtuosité et profite de l’évolution de l’instrument qui développe sa mécanique grâce aux recherches des Érard et Pleyel… qui développent aussi la mécanique du piano. Naturellement, les deux instruments s’allient. Nos deux musiciennes nous interprètent une œuvre inédite, un Duo sur des airs de Giuseppe Verdi… dans lequel on reconnaît, entre autres, une paraphrase du fameux Chœur des Esclaves de Nabucco. Superbe interprétation!

D8N_6939

La harpe seule entame alors un arrangement du célèbre air Una furtiva lagrima tiré de l’Elisir d’Amore de Gaetano Donizetti… tirant les larmes réelles, celles-là, de plusieurs auditeurs émus par la beauté, la finesse et la justesse expressive du jeu de Primor Sluchin.

D8N_6933.jpg

Giovanni Carmiello (1838-1938), compositeur napolitain et harpiste exceptionnel, n’a pas que sa formidable longévité à son actif. Il est surtout l’auteur d’ouvrages didactiques pour le jeu de la harpe et auteur de pièces brillantes de très haute facture. Son arrangement de la scène articulée autour du fameux Casta Diva de Vincenzo Bellini est absolument remarquable et pourrait figurer sans pâlir à côté des grandes paraphrases et réminiscences de Franz Liszt. Magnifique !

D8N_6942.jpg

Une Ouverture de la Flûte enchantée de W.A. Mozart à la harpe et au piano peut sembler improbable… c’est pourtant magnifique ! … Comme, d’ailleurs, ce pot-pourri d’airs tirés de Carmen de Georges Bizet mis en forme avec brio par John Thomas (1826-1913). Nos musiciennes y sont impériales et parviennent à faire sortir la quintessence de ces airs, mille fois entendus, et toujours aussi bouleversants.

D8N_6924.jpg

Maud Renier prend alors la main et tire de notre piano les formidables émotions extatiques de la Mort d’Isolde de Richard Wagner dans la paraphrase géniale de Franz Liszt (1811-1886). Un grand moment d’émotion où le piano s’oublie pour devenir essence de la musique. Le célèbre et unique Liebestod sonne avec toute la finesse de l’orchestre et l’on se prend à reconnaître dans le jeu de notre pianiste, le fantôme de la voix d’Isolde et les sonorités éthérées de l’orchestre wagnérien. Le public ne s’y trompe pas et acclame cette formidable émotion qui, comme on peut le dire avec un petit clin d’œil, nous conduirait presque à souhaiter mourir… d’amour !

D8N_6946

Et tandis que dehors, un terrible orage se déclenche et déverse ses trompes d’eau, ses rafales de vent et ses éclairs sur Liège, nos deux musiciennes se retrouvent pour déjà clôturer ce récital avec l’alliance de la musique classique et des couleurs du jazz de Georges Gershwin (1888-1937) dans une Suite sur Porgy and Bess qui fait la part belle au fameux Summertime, elles entraînent l’audience consentante vers des rythmes enlevés, syncopés et profondément virtuoses. La salle explose en vifs applaudissements.

D8N_6954

Un bis ? Primor Sluchin et Maud Renier reviennent et nous offrent un immense cadeau ! Une nouvelle pièce de Caramiello, cette fois sur… Le Barbier de Séville de Rossini ! Un feu d’artifice de mélodie belcantiste et de virtuosité. Harpe et piano, une véritable découverte et surtout, un duo exceptionnel qu’il faudra retenir et que, j’en suis sûr, nous aurons l’occasion de retrouver sur les scènes… et pourquoi pas, dans les salons privés…

 D8N_6956.jpg