Un jour… Un chef-d’oeuvre! (63)

« Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines.»

63a. Cantigas de Santa Maria, enluminue 1

Enluminure des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X le Sage (vers 1250)

Cantigas de Santa Maria n°10: Rosa das Rosas interprété par l’Ensemble Gilles Binchois dirigé par Dominique Vellard.

Rosa das rosas, les paroles de la Cantiga 10 et leur traduction en français moderne:

Questa è di lode a Santa Maria, come è bella e buona e ha gran potere.

Cette Cantiga est une louange à Sainte-Marie, à sa beauté et sa bonté et à son grand pouvoir.

Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines.

Rosa de beldad’ e de parecer
e Fror d’alegria e de prazer,
Dona en mui piadosa ser
Sennor en toller coitas e doores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Rose de beauté et belle apparence
Et fleur de joie et de plaisir.
Dame de grande piété (miséricorde)
Reine pour ôter peines et douleurs
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines.

Atal Sennor dev’ ome muit’ amar,
que de todo mal o pode guardar;
e pode-ll’ os peccados perdõar,
que faz no mundo per maos sabores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Telle seigneuresse (reine) doit-on bien aimer
Qui de tout le mal nous peut préserver
Et peut pardonner pour tous les péchés
Qu’on fait dans le monde par mauvais goût ( à mauvais escient)
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines.

Devemo-la muit’ amar e servir,
ca punna de nos guardar de falir;
des i dos erros nos faz repentir,
que nos fazemos come pecadores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Nous devons l’aimer (beaucoup) et bien la servir
Car elle peut nous garder des fautes
Et nous faire repentir des erreurs
Que nous commettons, nous, pécheurs,
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines.

Esta dona que tenno por Sennore
de que quero seer trobador,
se eu per ren poss’ aver seu amor,
dou ao demo os outros amores.
Rosa das rosas e Fror das frores,
Dona das donas, Sennor das sennores.

Cette dame là que je tiens pour reine
et dont je veux être le troubadour
Si je pouvais obtenir (gracieusement) son amour
Je laisserai au démon tous les autres amours
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines.

63c. Cantigas 3 deux hautbois doubles

Les Cantigas de Santa Maria constituent une des plus vastes compilations de thèmes musicaux qui nous soit parvenue en provenance du XIIIeme siècle. Au sens de chanson monophonique espagnole, les mots « cantiga », « cantica », « cantar », ont été très employés dans la péninsule ibérique jusqu’au milieu du XVeme siècle. Les cantigas pouvaient appartenir à des genres divers : amour courtois, satire, grivoiserie, mystique… C’est bien entendu à cette dernière catégorie qu’appartiennent les Cantigas de Santa Maria.

63e. Cantiga Luth

C’est le roi de Castille Alfonso X el Sabio ( le savant, ou le sage ), à la tête d’une équipe d’artistes, qui a élaboré cette oeuvre monumentale entre 1250 et 1280 environ. Le roi expose son dessein dans le prologue qui ouvre la série des 426 cantigas:

« L’art du troubadour exige de l’entendement et de la raison, et bien que je ne possède pas ces facultés au degré que je voudrais, j’espère que Dieu me permettra de dire un peu ce que je désire. Et ce que je désire, c’est que la Vierge fasse de moi son troubadour.« 

Œuvres mystiques mais non destinées à la liturgie, ces chants s’interprétaient peut-être lors de diverses festivités, parfois accompagnées de danses.

63b. Cantigas deux harpes

Enluminure des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X le Sage (vers 1250)

Et pour ceux qui auront le courage de lire ce qui suit, une révélation: La vision de l’école par Alfonso X El Sabio… une modernité qui ne devrait pas avoir pris une ride!

Loi I. Ce qu’est un studium, quelles en sont les différentes sortes et qui doit ordonner sa fondation.

Le studium est un rassemblement de maîtres et d’écoliers, qui se fait en un lieu, avec la volonté et le dessein d’apprendre les savoirs. Il en existe deux sortes. La première est celle que l’on appelle studium général, dans lequel il y a des maîtres des arts tels que la grammaire, la logique, la rhétorique, l’arithmétique, la géométrie et l’astrologie, ainsi que des maîtres en décrets et des connaisseurs des lois. Ce studium doit être fondé sur l’ordre du pape, de l’empereur ou du roi. La seconde sorte est celle que l’on appelle studium particulier, ce qui correspond au cas où un maître enseigne de façon isolée, dans quelque ville, à un petit nombre d’écoliers. Ce genre de studium peut être fondé par un prélat ou par les échevins de quelque lieu.

Loi II. En quel lieu doit être établi un studium, et quelle sûreté on doit donner aux maîtres.

La ville où l’on voudra établir le studium doit bénéficier d’un bon air et d’abords agréables, pour que les maîtres qui enseignent les savoirs et les écoliers qui les apprennent y aient une vie saine et puissent se reposer et prendre du plaisir le soir, lorsqu’ils sortiront fatinogués du studium. Elle doit également être abondamment pourvue de pain, de vin, de bons logis, où tous puissent résider et passer du temps sans dépense excessive. Nous disons en outre que les habitants de la ville où sera fondé le studium doivent grandement garder et honorer les maîtres, les écoliers, toutes leurs possessions et les messagers qui viennent vers eux depuis leurs villages. Nul n’a le droit de les saisir ni de rien leur confisquer, quelles que soient les dettes de leurs parents ou d’autres habitants des terres dont ils sont originaires. Nous disons encore que l’on ne doit causer ni déshonneur ni tort ni préjudice aux écoliers en raison de l’inimitié ou de la haine que l’on aurait envers eux ou leurs parents. Et c’est pourquoi nous ordonnons que les maîtres, les écoliers et leurs messagers bénéficient, eux et leurs possessions, de sûreté et de trêve lorsqu’ils se rendent aux écoles, qu’ils y résident et qu’ils en repartent pour leurs terres. Et nous leur octroyons cette sûreté dans tous les lieux de notre seigneurie. Et quiconque y contreviendra en leur prenant par force ou en leur volant ce qui leur appartient, doit leur verser le quadruple de ce qu’il a volé, et s’il les blesse, les déshonore ou les tue, il doit être cruellement puni, comme qui brise notre trêve et notre sûreté. Mais si d’aventure ceux qui seraient amenés à juger cette plainte, se montraient négligents à leur faire justice, comme cela a été dit plus haut, ils doivent les dédommager sur leurs biens et être démis de leur office pour infamie. Et s’ils agissaient avec malignité contre les écoliers, refusant de leur faire justice de ceux qui les auraient déshonorés, blessés ou tués, alors, les officiers qui feraient cela devraient recevoir la punition décidée par le roi.

[…]

Loi IV. De quelle manière les maîtres doivent enseigner les savoirs aux écoliers.

C’est bien et loyalement que les maîtres doivent enseigner leurs savoirs aux écoliers en lisant les livres et les leur faisant comprendre du mieux qu’ils pourront. Et dès qu’ils auront commencé cette lecture, ils devront continuer l’étude sans interruption jusqu’à ce qu’ils aient achevé les livres commencés. Et tant qu’ils seront en bonne santé, ils ne doivent pas demander à d’autres de faire cette lecture à leur place, sauf, exceptionnellement, pour honorer quelqu’un, et non dans le but de s’épargner le travail de la lecture. Mais si d’aventure l’un des maîtres tombait malade après le début de son enseignement, de telle sorte que la maladie fût si grave et si longue qu’il ne pût en aucun cas assurer sa lecture, nous ordonnons qu’on lui donne son salaire, comme s’il l’avait fait. Et s’il arrivait qu’il mourût de cette maladie, ses héritiers devraient recevoir son salaire comme s’il avait assuré cette lecture toute l’année.

[…]

63d. Cantigas 4

Cantigas de Santa Maria, instrumental interprété par Hesperion XX dirigé par Jordi Savall.