Un jour… Un chef-d’oeuvre! (11)

Filiations Spinoza, Schopenhauer, Wagner, Mahler et Klimt… Ce que me raconte l’Amour… un programme bien plus subtil qu’il n’y paraît…! Mais quelle beauté!

11a. G. Klimt, Le Baiser, 1907-08.

Gustav Klimt, Le Baiser, 1907-08.

Gustav Mahler (1860-1911), Troisième Symphonie, 6ème Mouvement « Ce que me raconte l’Amour » interprété par l’Orchestre Philharmonia dirigé par Esa-Pekka Salonen.

 

« Il n’est rien dans l’amour qui ne soit marqué au coin de la nécessité. Nécessité naturelle dont Spinoza (1632-1677) nous montre qu’elle n’est pas antinomique avec la pensée d’une éthique. Quel est le fondement de cette éthique de l’amour ? Assurément une métaphysique de l’amour. Trois principes articulent cette onto-érotique spinoziste :

  1. S’aimer soi-même, persévérer dans son être, affirmer la Joie de sa propre existence, telle est la condition fondamentale pour aimer autrui.
  2. Cet amour ne saurait, d’autre part, être une passion au sens strict mais l’occasion d’une augmentation de puissance et de connaissance. Une physique des affects fondée sur un principe de réciprocité.
  3. Enfin, l’être aimé n’étant qu’une partie de la Nature, c’est à dire de Dieu lui-même, c’est l’amour du monde qui conditionne l’amour d’autrui. C’est lui qui constitue en quelque sorte son principe régulateur, le préserve de tout excès et de toute aliénation. »

Alain Vuillot, Amour et totalité dans l’éthique de Spinoza, dans Le Philosophoire 2000/1 (n° 11), pages 157 à 168.

« Quel est donc maintenant le caractère le plus essentiel de la nature humaine vers laquelle se tourne en fin de compte la nostalgie des étendues les plus lointaines, parce que son unique assouvissement se trouve là? C’est la nécessité de l’amour et l’essence de cet amour dans sa manifestation la plus vraie, c’est l’aspiration à la réalité pleinement sensuelle, aspiration à la jouissance d’un objet à saisir par tous les sens, à étreindre fortement et fermement de toutes les forces de l’être réel. […] »

Richard Wagner, Une communication à mes amis, 1851, dans Le Dictionnaire encyclopédique Wagner, sous la direction de Timothée Picard, Paris, Actes Sud/ Cité de la Musique, 2010, p. 54.

«De quel amour s’agit-il au juste? Sensuel ou spirituel? […] La musique souvent torride du deuxième acte de Tristan und Isolde semble nous dire que les amants recherchent la fusion des corps. Mais pour grisante qu’elle soit, cette extase n’est que provisoire. […] Mais déjà, les amoureux savent qu’ils aspirent à une union éternelle et que celle-ci n’est pas de ce monde. Cette unio mystica a certainement quelque chose de métaphysique, tant il est vrai qu’elle ne peut se concevoir qu’au-delà de la mort. Elle a aussi quelque chose de sacré, puisque l’on sait, depuis Platon, que l’amour est cette folie qui possède la faculté de rapprocher l’homme du divin. […]

Cette tension entre un amour immanent et un amour transcendant est déjà à l’oeuvre dans les sources médiévales auxquelles Wagner s’est référé. Mais le compositeur confère à son « action » une coloration philosophique inédite, qui doit vraisemblablement beaucoup à la lecture de Schopenhauer (1788-1860). […] Wagner fut séduit par la théorie de la Volonté: une force originelle inconsciente, universelle, qui préexiste à toute manifestation de la vie et qui fait que tout être est condamner à persévérer dans son être. Au départ, la Volonté n’est pas perçue comme quelque chose de négatif: c’est une puissance vitale irrésistible. Seulement, pour se manifester, elle doit s’incarner dans les différents êtres vivants. C’est le début de tous les problèmes: ce qui était uni à l’origine devient séparé, ce qui ne formait qu’une essence se morcelle en autant d’individus. Chaque individu est confronté au temps et à l’espace, c’est à dire à l’instabilité, à la souffrance, à la lutte. Il aspire à quitter cet engrenage, mais c’est peine perdue: le vouloir-vivre est trop fort, même le suicide est un leurre! La solution pour Schopenhauer tien en peu de mots: cesser de vouloir! Tristan finit par comprendre cela. […]

Mettre fin au désir pour supprimer le besoin et parvenir à la désincarnation, c’est une doctrine très influencée par l’Orient bouddhiste, dont les textes philosophiques étaient une source commune à Wagner et à Schopenhauer (comme à Mahler et tout le monde artistique et philosophique de la seconde moitié du 19ème S, NDLR). Nous ne sommes pas loin du nirvana. »

Christian Merlin, L’Amour, dans Le Dictionnaire encyclopédique Wagner, sous la direction de Timothée Picard, Paris, Actes Sud/ Cité de la Musique, 2010, p. 55-56.

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