Un jour… Un chef-d’œuvre (173)

La beauté est vérité, la vérité beauté. C’est tout ce que vous savez sur terre. Et c’est tout ce qu’il faut savoir !”

John Keats (1795-1821)

John Constable (1776-1837), Étude de nuages sur la campagne, 1821.

 

Justin Heinrich Knecht (1752-1817), Le portrait musical de la nature interprété par Hofkapelle Stuttgart, dirigé par Frieder Bernius.

Le Portrait musical de la Nature ou Grande Symphonie (1785)
1. Allegretto – Andante pastorale – Allegretto
2. Tempo medemo (Allegretto)
3. Allegro molto
4. Tempo medemo (Allegro molto)
5. L’Inno con variazioni. Andantino – Coro: Allegro con brio Andantino

Le Portrait musical de la nature, « une grande symphonie » pour deux violons, alto et basse, deux flûtes, deux hautbois, bassons, cors, trompettes et tambours ad lib, dans laquelle est exprimé :

(1) Un beau pays, le soleil brille, des airs doux et des ruisseaux qui murmurent; les oiseaux chantent, une chute d’eau tombe de la montagne, le berger joue de son pipeau, la bergère chante, et les agneaux gambadent autour d’elle.
(2) Tout à coup, le ciel s’assombrit, une tension oppressive imprègne l’air, les nuages ​​noirs se rassemblent, le vent se lève, un tonnerre lointain se fait entendre, et la tempête approche.
(3) Les rafales de tempête dans toute sa fureur, les hurlements du vent et les battements de pluie, les arbres plient et les ruisseaux se précipitent avec fureur.
(4) La tempête s’atténue graduellement, les nuages ​​se dissipent et le ciel se dégage.
(5) Nature pose sa voix joyeuse au ciel dans les chansons de gratitude envers le Créateur (hymne avec des variations).
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John Constable, La Baie de Weymouth avec la tempête qui approche, 1818.

En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de beauté pourra paraître incongru, inconvenant, même provocateur. Presque un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu’à l’opposé du mal, la beauté se situe bien à l’autre bout d’une réalité à laquelle nous avons à faire face. Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l’univers vivant: d’un côté, le mal; de l’autre la beauté. 

Le mal, on sait ce que c’est, surtout celui que l’homme inflige à l’homme. Du fait de son intelligence et de sa liberté, quand l’homme s’enfonce dans la haine et la cruauté, il peut créer des abîmes pour ainsi dire sans fond, ce qu’aucune bête, même la plus féroce, ne parvient pas à faire. Il y a là un mystère qui hante notre conscience, y causant une blessure apparemment inguérissable. La beauté, on sait aussi ce que c’est. Pour peu qu’on y songe, cependant, on ne manque pas d’être frappé d’étonnement: l’univers n’est pas obligé d’être beau, et pourtant, il est beau. À la lumière de cette constatation, la beauté du monde, en dépit des calamités, nous apparaît également comme une énigme. 

Que signifie l’existence de la beauté pour notre propre existence? Et en face du mal, que signifie la phrase de Dostoïevski: « La beauté sauvera le monde ». Le mal, la beauté, ce sont là les deux défis que nous devons relever. Ne nous échappe pas le fait que mal et beauté ne se situent pas seulement aux antipodes: ils sont parfois imbriqués. Car il n’est pas jusqu’à la beauté même que le mal ne puisse tourner en instrument de tromperie, de domination ou de mort. Mais une beauté qui ne serait pas fondée sur le bien est-elle encore « belle »? La vraie beauté ne serait elle pas elle-même un bien? Intuitivement, nous savons que distinguer la vraie beauté de la fausse fait partie de notre tâche. Ce qui est en jeu n’est rien de moins que la vérité de la destinée humaine, une destinée qui implique des données fondamentales de notre liberté.

François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Paris, Le Livre de Poche, Albin Michel, 2008, pp. 13-14.