Un jour… Un chef-d’œuvre (261) À Jacques…

« L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. »

Baruch Spinoza (1632-1677)

Jacques Grégoire (1947-2021), Errance, 2019

Vacances singulières teintées de beaucoup de tristesse que celles de cet été 2021… inutile ici de refaire le bilan macabre des malheurs qui se sont abattus sur notre pays ces dernières semaines; inutile également de paraphraser les terribles constats des scientifiques qui placent l’humanité au pied du mur. Nous avons détruit notre alliée la plus chère, la Nature… Et les perspectives ne sont pas bonnes. L’on voit mal, si ce n’est que le génie humain peut parfois faire preuve d’illumination salvatrice, comment nous nous tirerons de cette situation.

Mais je voulais revenir au blog en rendant hommage à Jacques Grégoire, artiste unique en son genre et disparu après une terrible et fulgurante maladie tout récemment. Ses funérailles avaient lieu hier, lundi 9 août. Jacques était un artiste magnifique, profondément humain. J’ai toujours aimé ses aquarelles et l’esprit de mystère qui habitait ses oeuvres. Il m’avait fait le grand honneur de m’en offrir une. Depuis, elle trône dans le hall d’entrée de ma maison et chaque fois que je passe devant elle, je le remercie de tout mon cœur. Nous étions collègues à l’U3A, nous bavardions chaque mercredi à midi lorsqu’il donnait ses cours et ma maman a été son élève pendant de nombreuses années. Leur contact était très amical. Je ne ratais aucune de ses expositions et il avait participé plusieurs fois aux Festivals Voyages d’été. Ceux qui ont eu la chance de le rencontrer ne pourront jamais l’oublier. J’aime à penser que c’était un ami… non pas de ceux qu’on fréquente tout le temps, mais de ceux dont on sait qu’ils sont là et qu’on prend plaisir à rencontrer. Profondément bouleversé par sa maladie et sa fin, je voulais lui dédier ce billet et vous proposer la lecture de ce beau texte de Françoise Dastur. Si Jacques est parti, qu’on ne le verra plus, son œuvre restera! Elle est le témoignage de sa profonde humanité. Je voudrais enfin présenter ici mes plus sincères soutiens à Gabrielle, son épouse, à la maman de Jacques et à Nicolas, son fils. Bon voyage Jacques…

JMO

Jean-Sébastien Bach (1685-1750), Sonate pour violon et basse continue N°3 en mi majeur BWV 1016, interprétée par Frank Peter Zimmermann et Enrico Pace.

[…] Il est certes possible de voir dans la certitude de la mort précisément ce qui rend la vie encore plus précieuse, et de considérer, comme le fait Novalis, que « la mort est le principe qui romantise notre vie » dans la mesure où elle est « intensifiée, renforcée par la mort. » Mais parvenir ainsi à voir dans la mort l’aiguillon de la vie suppose déjà ce renversement « dialectique » du négatif en positif qui est constamment à l’œuvre dans toutes les tentatives humaines de surmonter la mort.

Vaincre la mort: tel est en effet le programme non seulement de la métaphysique, qui prétend à la connaissance du suprasensible et du non-corruptible, mais aussi de la religion, en tant que celle-ci est promesse de survie personnelle, de la science, qui érige la validité d’une vérité indépendante des mortels qui la pensent, et plus généralement de l’ensemble de la culture humaine, puisque celle-ci se fonde par essence sur la transmissibilité de savoirs, de techniques qui constituent le trésor durable d’une communauté de vivants s’étendant sur plusieurs générations.

Jacques Grégoire (1947-2021), Paysage.

Car la mort est objet d’épouvante et ne paraît pouvoir être affrontée que dans la mesure où elle se voit relativisée et où elle semble alors n’avoir de prise que sur une partie seulement de notre être. C’est Novalis encore, lui que la mort précoce de sa jeune fiancée a rendu sensible au caractère illusoire des frontières qui séparent la vie et la mort, l’ici-bas et l’au-delà, qui a le sentiment que « nous ne mourrons que dans une certaine mesure, pour ainsi dire », car la mort n’est finalement pour lui qu’une « métamorphose », celle par laquelle nous quittons notre être fini et atteignons en une sorte de « transfiguration », la vie parfaite d’un esprit. […]

Françoise Dastur, La mort, Essai sur la finitude, Paris, Presse universitaires de France, coll. Épiméthée, 2007, pp. 9-10.

L’Artiste Jacques Grégoire (1947-2021)

Jacques Grégoire (1947-2021), Dispersion, 2018.