Un jour… Un chef-d’œuvre (266)

Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant…

Molière (1622-1673), Tartuffe ou l’Imposteur, Premier Placet, 1667.

Gustave Moreau (1826-1898), Orphée suppliant.

Philip Glass (né en 1937), Orphée, Opéra d’après le film de Jean Cocteau (1950), Suite pour piano, VI. Le retour d’Orphée, interprété par Nicolas Horvath.

L’art est production et création

Le mot «art» (technè ou poièsis en grec ancien), sous la plume d’Aristote, désigne aussi bien l’art de construire, de guérir, de naviguer, etc., que celui du peintre, du sculpteur, du musicien, du danseur ou du poète tragique, que nous connaissons aujourd’hui sous l’expression «beaux-arts». Aussi, Aristote évoque-t-il régulièrement l’art en général qui est d’abord la faculté de produire, de créer des oeuvres qui n’ont pas en elles-mêmes leur principe, lequel réside dans ce qui les produit: l’artiste. L’art relève ainsi essentiellement de la production (poièsis) et non directement de l’action (praxis). 

La nature n’est pas une artiste

Lorsque la nature produit des êtres, le principe de sa production n’est autre qu’elle-même, alors que l’œuvre d’art se distingue d’une production naturelle dans la mesure où elle a pour principe une cause étrangère à elle-même, l’artiste.

«Les productions de l’art, ce sont toutes celles dont la forme est dans l’âme de celui qui produit (j’appelle forme l’être de chaque chose, sa substance première.» (Métaphysique, Z, 7, 1032b.)

La distinction entre les productions naturelles et les productions de l’art ne s’arrête pas là: dans l’art, l’artiste façonne la matière en vue de l’objectif qu’il s’est fixé, alors que la nature produit à partir d’une matière toute faite.

Enfin, l’ultime distinction entre production naturelle et production artistique réside dans le fait que l’art est une discipline propre à l’homme seul: il nécessite raison et réflexion, il n’est pas comme la nature, l’obéissance à la loi naturelle qui conduit les êtres à maturation. Ce que la nature produit est dit «nécessaire», c’est à dire qu’il ne peut en être autrement. À l’opposé, les réalisations de l’art sont «contingentes», autrement dit elles auraient pu ne pas advenir. Ces dernières dépendent d’un être créateur imprévisible et changeant: l’homme.

L’art en quête du vrai

Ainsi que le pense Aristote, si l’art est, comme la science, en quête du vrai, à la recherche d’une adéquation avec le réel, toutes les ouvres d’art n’arrivent pas forcément à leur fin: elles sont alors ratées, leur créateur a manqué son objectif, il s’est trompé, il a réalisé du faux. Aussi, Aristote peut-il ainsi résumer:

«L’art est la faculté de produire le vrai avec réflexion.»

Ce que l’art vise vraiment

Cette définition, très générale de l’art comprend alors tous les arts possibles, ceux qui sont nécessaires à la vie (la médecine par exemple) comme ceux qui agrémentent notre quotidien et que nous qualifions aujourd’hui effectivement d’arts (musique, peinture, etc.). Toutefois, Aristote n’oublie pas pour autant de les distinguer. Les arts d’agrément visent une fin précise et différente de celle des autres «arts»: ils doivent élever celui qui en est le spectateur, le grandir moralement et intellectuellement. Musique, poésie, tragédie concourent ainsi non seulement à procurer du plaisir, mais également à instruire l’individu par le biais d’un délassement de l’esprit.

Cyril Morana et Éric Oudin, Petite philosophie de l’art de Platon à Deleuze, Paris, Éditions Eyrolles, 2010, pp.36-38.

Luigi Rossi (1597-1653), Orfeo, Acte III, Scène 10, Lasciate Averno, interprété par Véronique Gens (Orphée) et L’Arpeggiata dirigé par Christina Pluhar.

 Orphée se lamente d’avoir été obligé de revenir sur terre sans Eurydice, et cherche la mort. Jupiter décrète que la Lyre, ainsi que les deux amants, seront changés en constellation et glorifiés. Il faut regarder avec le cœur et pas avec les yeux…

Gustave Moreau (1826-1898), Orphée sur la tombe d’Eurydice, 1891.