de Lassus, l’Européen

 

Peu de compositeurs de la Renaissance sont parvenus à égaler la célébrité de Roland de Lassus (1532-1594). Connu également sous le nom de Orlando Lasso ou Roland Delattre, ce compositeur aux talents multiples maîtrisait tous les genres de la polyphonie vocale, de sorte qu’il a bénéficié d’une réputation à l’échelle européenne. Celle-ci a encore été renforcée par la fonction de maître de chapelle qu’il a exercé pendant trente ans dans l’une des cours les plus prestigieuses d’Europe de l’époque.

 

 

 

Roland de Lassus est né à Mons. Après un séjour en Italie entre 1544 et 1554, où il exerce les fonctions de maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran à Rome, il s’est établi à Anvers où ses premières œuvres ont été publiées. En septembre 1556, le duc Albert de Bavière l’engage comme ténor et en 1562, il devient maître de chapelle de sa cour de Munich.

 

 

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Hommage à Roland de Lassus à Mons

 

 

Lassus en fait immédiatement l’un des principaux centres de l’art polyphonique. Sa réputation comme compositeur dépasse les frontières à tel point que, lors d’un voyage du compositeur à Paris en 1571, le roi Charles IX a même essayé de s’attacher ses services. Mais Lassus est pourtant fidèlement resté à Munich jusqu’à sa mort en 1594. De nombreux voyages à Prague, Francfort, dans les anciens Pays-Bas, en Italie (Venise, Rome, Vérone, Naples, Ferrare, …), à Innsbruck et à Vienne lui permettent d’asseoir sa réputation dans toute l’Europe.

 

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Roland de Lassus

 

 

La liste succincte des différents genres qu’il a abordés démontre que Lassus maîtrisait l’écriture musicale : le motet religieux et profane, la musique liturgique (la messe, le Magnificat, l’hymne, la Passion, les leçons tirées du Livre de Job, les Lamentations de Jérémie), la chanson française, le lied allemand, le madrigal et la villanelle italiens. Dans tous ces domaines, sa production est à la fois abondante et de qualité exceptionnelle.

 

 

 

Plus que tout autre compositeur de son époque, Roland de Lassus est parvenu à s’imprégner des exigences propres à chaque genre et à chaque langue. Voilà, sans doute, l’une des clés du succès immédiat et universel de son œuvre. Peu d’éditeurs, en conséquence, ont négligé sa musique. Chaque maison, en fonction de son pays et de sa culture, s’est intéressée à un pan de son œuvre. Ainsi, l’Italie a publié les madrigaux, l’Allemagne s’est occupé des Lieder et la France de ses chansons. Ces dernières ont d’ailleurs inondé le marché parisien au cours de la seconde moitié du XVIème siècle. L’édition et la diffusion des différents genres n’étaient cependant pas uniquement limitée à la région correspondant à la langue comme semble le prouver les nombreuses publications de maisons flamandes de Louvain et Anvers. Les motets latins, nerf de la production du compositeur, étaient connus et appréciés partout.

 

 

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L’œuvre de Roland de Lassus réunit toutes les tendances qui ont fait, depuis Guillaume Dufay, leur apparition dans la musique de la Renaissance. Son art est enraciné dans la tradition du contrepoint imitatif que le compositeur maîtrise mieux que tout autre, et dans les techniques d’écriture basées sur l’emprunt de mélodies préexistantes (cantus firmus, la paraphrase et la parodie) sur lesquelles l’artiste compose de nouvelles pièces.

 

 

Pour ce qui est de l’expression, Lassus élargit considérablement la palette musicale, non seulement dans le motet, lieu de ses expériences, mais dans tous les genres abordés. Il développe une rhétorique musicale que les compositeurs baroques utiliseront abondamment. Grâce à la diversité légendaire de son talent, il est parvenu à faire fusionner tradition polyphonique et innovations rhétoriques dans une exceptionnelle synthèse. Son œuvre est, en ce sens, le couronnement de 150 ans de polyphonie flamande et peut être comparée à la synthèse géniale que Jean-Sébastien Bach a su réaliser pour la musique baroque. L’un comme l’autre représentent également le point de départ des nouvelles esthétiques musicales.

 

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Albert V de Bavière en 1556

 

 

Si on se souvient que Bach avait jeté les bases d’un genre nouveau, le concerto pour clavier, par exemple, qui, en passant par ses fils, atteindra chez Mozart un sommet inouï, on doit également garder à l’esprit que Roland de Lassus a préparé l’arrivée de l’art musical baroque par l’intensité expressive de ses compositions. Par l’intermédiaire de Giaches de Wert et de l’école vénitienne (les Gabrieli ont tous deux travaillé à Munich), l’expressivité s’est encore développée, s’est amplifiée et a débouché sur l’art de Claudio Monteverdi. On sait par ailleurs que Heinrich Schütz a appris la musique à l’aide des œuvres de Lassus et de ses contemporains. Si Roland de Lassus a parachevé l’art de la Renaissance à la manière d’un dôme qui couronne une cathédrale, il a été également un pilier supportant la musique baroque.