Trompette thébaine ?

Mercredi prochain à 20H, je donnerai une conférence à l’Opéra royal de Wallonie à propos du prochain spectacle de la maison liégeoise, Aïda, du grand Giuseppe Verdi (1813-1901). Après la formidable production de Faust, le moins que l’on puisse dire, c’est que les musiciens, chanteurs et choristes ne chôment pas, l’oeuvre est gigantesque! J’avais envie, aujourd’hui de vous offrir un petit avant-goût d’une séance qui abordera tant l’Histoire de l’oeuvre que son écriture musicale, sa vocalité et… ses sonorités. Les fameuses trompettes thébaines qui ont fait la célébrité de l’oeuvre sont, à elles seules, un sujet passionnant. Voici quelques considérations les concernant en guise de hors-d’oeuvre. Quant à la conférence du 6 février, je vous y attends nombreux!

03022019 Trompettes Toutankhamon à Thèbes

Giuseppe Verdi prenait un soin tout particulier à rendre ses drames crédibles. Il situait toujours le plus exactement possible ses intrigues et leurs personnages dans des environnements précis, cherchant à ne rien laisser au hasard. Et même si, dans Aïda, on observe que le monde de l’Égypte antique est mené par les sentiments humains et les idées du romantisme, le cadre des décors, des costumes et des accessoires, supervisé par l’égyptologue Mariette, tente de restituer l’image d’un temps lointain tel qu’on le comprenait dans la seconde moitié du XIXème siècle.

03022019 Verdi Aida, page de garde de la partition Ricordi bis

Pour Verdi, il était donc de première utilité de comprendre le mode de vie des égyptiens et de leurs pharaons, de comprendre le poids exact du clergé, d’étudier les cultes d’Isis et autres dimensions sacrées et, tout naturellement, de chercher à savoir quelle musique on pouvait entendre dans ce monde si lointain.

03022019 Alma-Tadema, Passe-temps dans l'Égypte ancienne, 1863.

Lawrence Alma-Tadema, Passe-temps dans l’Égypte ancienne, il y a 3000 ans, 1863.

Ayant lu dans l’Histoire de la musique de Fétis qu’une flûte antique était conservée au musée égyptien de Florence, il s’y rend avec son ami Arrivabene. Le constat est amer et la désillusion importante: l’instrument est médiocre et banal. Force est de constater qu’en matière d’art sonore, les traces archéologiques se limitent à quelques représentations d’instruments de musique retrouvées dans les tombes les plus prestigieuses.

03022019 Trompettes Toutankhamon à Thèbes 2

Trompettes en or, ébène et argent découvertes dans la tombe du roi Toutânkhamon à Thèbes, Nouvel Empire, 18ème dynastie.

Qu’à cela ne tienne, on reconstruira la trompette antique connue par l’iconographie! On sait que chez les Égyptiens, la trompette était un accessoire militaire et liturgique; en écriture hiéroglyphique, on l’appelait « šnb« . Les soldats en jouaient sans doute pour communiquer et pour impressionner l’ennemi. Le dieu Osiris passait pour être l’inventeur de la trompette et c’est pourquoi on l’utilisait dans les mystères célébrés en son honneur. Cependant, aucun usage spécifique musical n’est mentionné. D’ailleurs, Plutarque compare le son de la trompette égyptienne au braiement de l’âne. Elle n’était sans doute pas un instrument de musique au sens que nous donnons aujourd’hui à cette expression. Le son criard de la trompette inspirait la terreur ou avertissait d’un danger.

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Scène de liesse, la trompette se trouve à droite, jouée par un musicien dont le corps est perdu (ci-dessus) et musicien militaire (ci-dessous), Nouvel Empire, 18ème dynastie, règne d’Akhénaton (1353-1337 ACN).

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Pour néanmoins en tenter une reconstitution, Verdi s’adresse au facteur d’instruments à vent milanais Giuseppe Pelitti et lui commande « six trompettes droites de forme égyptienne antique » pour la première de son opéra au Caire. Pelitti s’exécute, mais est obligé d’ajouter un piston (invention du XIXème siècle) pour qu’elles puissent atteindre toutes les notes écrites par Verdi. Les témoignages semblent indiquer que leur son était assez désagréable et leur forme, finalement, fort peu ressemblantes avec les trompettes antiques.

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Le musicologue Percival Kirby soufflant dans une réplique de la supposée trompette thébaine (1947) conservée au Louvre et qui s’est avérée n’être… qu’ un pied d’autel!

03022019 L'opéra du Caire, Intérieur

Intérieur de l’Opéra du Caire

La trompette droite n’est en fait qu’un instrument déplié. Celles de l’antiquité ne possédaient forcément aucun piston et s’apparentaient à des clairons dont le nombre de notes réalisables était assez faible. Les reconstitutions approximatives de ces instruments peuplent aujourd’hui les péplums, sans distinction de civilisation. On les trouve à Thèbes, Athènes ou Rome avec la même forme et le même son, très différent de celui d’origine. Depuis Aïda, on l’associe  au solennel et à la pompe. Muni de pistons, son jeu ne change aucunement de celui de la trompette en si bémol, la plus courante, mais la tenue de l’instrument, en fonction de sa longueur, peut fatiguer le musicien.

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Figurine: organiste et nain trompettiste, Alexandrie (?) Ier siècle avant ou après J.-C., argile peinte.  « … le trompettiste est représenté selon les caractéristiques du nain: un homme à grosse tête, de petite taille, au ventre proéminent et dont le long sexe pend entre les jambes. Le décalage entre la longueur du tuyau droit de la trompe, dont l’extrémité est posée à même le sol, et la petite taille du musicien devait être un élément comique. La thèse la plus répandue veut que ce duo appartienne à une scène de comédie ou de mime du fait du caractère grotesque du trompettiste, mais on sait que le duo organiste et trompettiste est également typique des jeux de la gladiature. (Notice de Christophe Vendries in Écho de l’Antiquité, Musiques, catalogue de l’exposition du Louvre-Lens, 2017, p.351.

Pour les représentations parisiennes en 1880, on demanda à Adolphe Sax, dont on fête cette année le bicentenaire, de construire de nouveaux instruments. Il réalisa alors six trompettes en si bémol d’une longueur de 1,20 mètres avec double pavillon et surtout deux pistons. Ce sont ces trompettes là qui portèrent le nom de trompettes thébaines (car l’action de l’opéra se situe à Thèbes), plus souvent nommées aujourd’hui trompettes d’Aïda. On peut en voir un superbe exemplaire au Musée des Instruments de Musique à Bruxelles.

03022019 Sax, Trompettes d'Aïda pour opéra de Paris 1880

Si dans notre imaginaire, elles sont associées à l’Antiquité, elles n’ont cependant rien en commun avec les deux superbes instruments originaux retrouvés en 1922 dans le tombeau de Toutânkhamon (voir au début du billet), le pharaon de la 18ème dynastie. La première est en argent, mesure 58,2 centimètres de long. L’autre est en bronze, un peu plus petite, 50,5 centimètres. Toutes les deux sont de perce conique et possèdent un pavillon large. Par contre, elles ne sont munies d’aucune embouchure, l’extrémité du tube étant simplement arrondie. Verdi, Pelitti et Sax ne pouvaient évidemment pas connaître les dimensions de ces instruments, bien plus modestes, par la seule iconographie des trombes. C’est certain, les trompettes de Tout Ankh Amon n’auraient pas pu jouer la Marche du deuxième acte d’Aïda.

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Eugène Lacoste (1818-1907), Costume de l’Opéra Aïda, 1879-1880.

Depuis cette découverte, les instruments de Pelitti et de Sax sont entrés au musée et désormais l’Opéra de Paris joue la Marche triomphale sur des trompettes droites en ut… à trois pistons comme la trompette normale… on est loin des trompettes que les pharaons ont pu entendre! Il n’y a plus qu’à écouter le résultat saisissant bien que très célèbre…