Un jour… Un chef-d’œuvre (233)

L’esprit est lien de la volonté et du désir.

Hildegard von Bingen (1098-1179)

Enluminure du Scivias d’Hildegard von Bingen, I.3 Dieu, le Cosmos et l’Humanité, 1165.

Hildegard von Bingen (1098-1179), Ave Maria, O autrix vite, interprété par l’Ensemble Sequentia.

Je te salue Marie
Ô toi qui a donné la vie rebâtissant le salut!
Tu as confondu la mort, détruit le serpent
devant lequel Eve s’est dressée, tête levée,
dans le souffle de l’orgueil.
Tu l’as écrasé en engendrant du ciel le Fils de Dieu.

Hildegarde de Bingen (1098-1179) est la plus grande mystique de son temps. Elle voit le jour à Bermershein vor der Höhe, en Hesse rhénane, dans une famille de la noblesse. À trois ans à peine, elle ressent l’appel de Dieu, à un âge si tendre qu’elle ne comprend pas vraiment ce que signifie cette lumière intense qui se manifeste à elle. C’est à huit ans qu’elle rejoint l’abbesse Jutta de Sponheim qui devient sa tutrice religieuse au couvent des Bénédictines de Disibodenberg, dans le diocèse de Mayence. Jutta, fille du comte de Sponheim, l’éveille à la musique chrétienne. Hildegarde prononce ses vœux de nonne, sans doute vers 1113. Lorsque Jutta meurt en 1136, Hildegarde est élue abbesse. Elle fonde le abbayes de Rupertsberg et d’Eibingen. Mais elle est surtout connue pour l’ouvrage qu’elle rédige vers le milieu du 12ème siècle, les Voies de Dieu. Elle y relate les visions reçues depuis son enfance, c’est le Scivias ou Sci vias Domini, « Connais les Voies de Dieu ».

Dans cette œuvre, Hildegarde relate ses vingt-six visions, réparties en trois thèmes en hommage à la Sainte-Trinité. Le premier est consacré aux six visions relatives à la Création, la Chute, les Chœurs des anges. Le deuxième en regroupe sept, qui concernent le Christ et son Église. Le troisième comprend les treize dernières qui disent le Royaume de Dieu et la lutte entre le bien et le mal. La structure est toujours la même: la vision est tout d’abord rapportée, puis expliquée. 

Hildegarde est également l’auteure d’autres ouvrages comme le Liber divinorum operum, Le Livre des oeuvres divines, des recueils musicaux de chants liturgiques, des traités de médecine. Elle s’invente même une langue mystique qu’elle est la seule à parler, la Lingua ignota, cette « langue ignorée » ou « inconnue », à partir de vingt-trois caractères. Elle l’utilise notamment pour ses chants liturgiques qu’elle compose. La Lingua ignota° est dérivée du latin: le vir latin, « homme », devient jur et le Pater, « Père », Peueriz.

Pour Hildegarde, devenir sainte ne fut pas une mince affaire: si elle est bienheureuse depuis le 13ème siècle, il faut attendre 2012 pour que le pape Benoit XVI la canonise. Entre-temps, depuis belle lurette, le peuple la vénérait déjà comme telle.

Florence Baustein et Jean-François Pépin, Culturissime, Le grand récit de la culture générale, Paris, Éditions Gallimard, 2017, pp. 255-256.

° J’ajoute, d’après Wikipédia que La Lingua ignota comporte 1011 mots et est décrite par Hildegarde dans un ouvrage qui nous est parvenu sous la forme d’un glossaire. Voici le seul texte utilisant quelques mots de cette langue qui nous soit parvenu, un des chants composés par l’abbesse :

O orzchis Ecclesia, armis divinis praecincta, et hyacinto ornata, tu es caldemia stigmatum loifolum et urbs scienciarum. O, o tu es etiam crizanta in alto sono, et es chorzta gemma.

… que l’on peut traduire par:

Ô incommensurable Église,/ guidée par des bras divins,/et ornée de hyacinthe,/ tu es le parfum des plaies du peuple/ et la cité des connaissances./ Ô, ô, tu es ointe, parmi les sons élevés,/ et tu es une gemme éclatante.

Voici ce chant:

La troisième vision du Liber Divinorum Operum.