Un jour… Un chef-d’œuvre (146)

L’homme est périssable, il se peut. Mais périssons en résistant et si le néant nous est réservé, faisons que ce soit une injustice.

Etienne Pivert de Senancour (1770-1846)

 

Henri Peyre et Catherine Auguste (photographie), Violon(s) et partition.

 

Johannes Brahms (1833-1897), Sonate pour violon et piano n°3 en ré mineur Op. 108, II. Adagio, interprété par Augustin Dumay et Maria João Pires.

Les sons s’envolent mais les notes restent, cette variante de la célèbre locution antique « Verba volant, scripta manent » illustre parfaitement la nature morte photographique de Henri Peyre et Catherine Auguste… comme cet adagio de la troisième sonate pour violon et piano de Johannes Brahms. On aurait pu l’étoffer de Tempus fugit (le temps fuit) ou encore Tempora mutantur et nos mutamur in illis (les temps sont changés et nous sommes changés en eux), pour aiguiser ce sentiment que rien n’échappe au temps. La profonde mélancolie brahmsienne me ramène toujours à cette vision. Plusieurs violons démontés, brisés, usés, désormais muets, privés de leurs cordes (vocales?) sont placés dans une niche qui rappelle immanquablement les catacombes, ces sombres sépultures où la lumière n’entre plus, où le silence règne en maître. Et pourtant parmi les invités involontaires de ces lieux, tous avaient vécu, sonné, proclamé avec passion leur besoin de vivre, de chanter. Certains avaient crié leur douleur, leur mal-être. Ils avaient dénoncé les injustices du monde. D’autres avaient juré que quoi qu’il arrive, ils seraient là, encore, toujours rien ne les ferait taire! Ils avaient porté l’amour, la joie, la danse… la vie. Ils avaient été placés sous des doigts nobles et experts ou sous l’archet d’un indigent violoneux, mais tous avaient parlé vrai, le langage de l’âme, celui de la musique qui, du silence s’élève, habite le vide d’une intensité inouïe et retourne au néant, comme un simple geste rejoint son point de départ, en laissant aux écouteurs subtils une émotion inoubliable. Ils avaient exprimé toutes les émotions, et bien mieux qu’aucun mot! Puis, ils avaient parlé du passé, ils le regrettaient! Leur propos n’était pas l’anecdote, mais l’âme profonde des Hommes… Ils en ont bouleversé des oreilles et des cœurs!

Mais, comme le dit une autre maxime: Les meilleures choses ont une fin! Que dire encore dans ces sépulcres, lorsque de toutes parts, le silence nous habite et que notre corps ne peut plus rien? Rien sans doute! Ne plus s’épancher…

Ah!… mais… dans ce silence profond, une lueur… nous n’y avions prêté attention, mais maintenant, elle nous aveugle. C’est cette minuscule partition qui, en pleine lumière, promet qu’il y aura encore d’autres violons qui chanteront, qu’il sera d’autres musiciens. Ils l’apprendront, l’assimileront et la joueront pour émouvoir les Hommes qui voudront bien l’écouter! Et l’Histoire recommencera! Eux non plus ne seront certes  pas éternels, mais les notes, écrites là par un artiste il y a bien longtemps continueront à dire l’être humain, à lui parler de lui-même. Et tant que durera ce petit bout de papier, tant qu’il sera dans la lumière, il vivra sous chaque voix qui le rencontrera et s’y confiera. Les sons s’envolent, les notes restent! Mais puisque nous péririons, protégeons ce petit bout de papier qui contient en son griffonnage, toute la nature humaine et souvenons-nous que sans culture et sans art, l’Homme n’est rien! Alors, vraiment, le néant sera une injustice!

JMO