Un jour… Un chef-d’oeuvre! (13)

Plaire, émouvoir et enseigner… voilà la raison d’être des arts… et sonder les abîmes de l’âme humaine!

13b. Johann Heinrich Füssli, Solitude dans le crépuscule du matin, 1797

Johann Heinrich Füssli (1741-1824), Solitude dans le crépuscule du matin, 1797.

Franz Joseph Haydn (1732-1809), Trio avec piano en sol majeur « à la hongroise », Hob XV:25 par le Trio Grieg.

« Un ingrédient décisif de la représentation de l’action réside dans l’expression des passions auxquelles les protagonistes sont en proie. Léonard de Vinci soutenait:

« Il faut par-dessus tout que les personnages qui entourent l’action dont tu peins l’histoire soient attentifs à cette action, avec des gestes montrant l’admiration, le respect, le chagrin, la suspicion, la peur, la joie, selon ce que requiert l’action autour de laquelle tu peins le rassemblement ou concours de tes personnages« .

Cette théorie de l’expression, qui revêt une telle importance à cette époque-là, comporte une double signification. Elle signifie d’une part que le peintre doit ordonner la scène de manière à ce qu’elle soit expressive, et d’autre part qu’il doit donner à voir les émotions de ses personnages, afin que celles-ci soient au service de la compréhension de la scène toute entière. […]

Les passions ne constituent pas seulement des objets de la représentation, elles sont aussi sa finalité. […] L’art permet donc bien de sentir les passions ordinaires, mais de les ressentir de manière extraordinaire. […] Diderot, dans ses Essais sur la peinture (1766), exhortera le peintre à ne rien sacrifier à la pathétique picturale:

« Je ne veux pas qu’il en coûte la moindre chose à l’expression, à l’effet du sujet. Touche-moi, étonne-moi, déchire-moi, fais-moi tressaillir, pleurer, frémir, m’indigner, d’abord.« 

Émouvoir, voilà le maître mot qui justifie selon Diderot l’acte de peindre et qui suscite cette question rhétorique: « À quoi sert donc que tu broies tes couleurs, que tu prennes ton pinceau et que tu épuises toutes les ressources de ton art, si tu m’affectes moins qu’une gazette?« 

Placere, movere, docere. Les deux premières des trois finalités de l’art retenues par Aristote (dans La Poétique, NDR) nourrissaient la production artistique autant que l’attente des spectateurs et des lecteurs (ainsi que des auditeurs, NDR). La troisième (« docere« , c’est à dire instruire) n’est pas moins présente dans l’esthétique classique. On aime à citer l’Art poétique, dans lequel Horace écrivait:

« Les poètes entendent soit être utiles, soit faire plaisir, soit écrire des poèmes à la fois utiles et agréables à la vie… Tous les suffrages reviennent à celui qui a mêlé l’utile à l’agréable en donnant au lecteur de plaisir et de l’instruction.« 

L’art doit aussi éduquer. « Mettre à profit son divertissement ». Dans la Poétique d’Aristote, il est question de la mystérieuse notion de catharsis (purgation) que le philosophe utilise pour soutenir que le spectacle tragique permet la purgation des passions de pitié et de peur. […] le spectacle tragique nous purgeant de nos mauvaises passions pour nous ouvrir à de meilleures. […] On la retrouve chez Molière qui affirme en 1664, dans le premier placet au roi sur la comédie de Tartuffe, que la comédie corrige les hommes en les divertissant.

Au cours de la seconde moitié du 18ème siècle, alors que bien des choses auront changé, Diderot continuera à affirmer que la peinture doit avoir une destination morale.

[…] L’oeuvre réussie, dans un domaine comme dans l’autre, est celle qui délecte, qui émeut et qui instruit. Le bon artiste est celui qui est capable d’appliquer ses principes.»

Carole Talon-Hugon, Une Histoire personnelle et philosophique des arts, Classicisme et Lumières, Paris, Presses universitaires de France, 2015, pp. 12-30.

La Mélancolie

Constance Charpentier (1767-1849), La Mélancolie, 1801.

Charles BAUDELAIRE (1821 – 1867)

Le crépuscule du matin

La diane chantait dans les cours des casernes,
Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.

C’était l’heure où l’essaim des rêves malfaisants
Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ;
Où, comme un œil sanglant qui palpite et qui bouge,
La lampe sur le jour fait une tache rouge ;
Où l’âme, sous le poids du corps revêche et lourd,
Imite les combats de la lampe et du jour.
Comme un visage en pleurs que les brises essuient,
L’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient,
Et l’homme est las d’écrire et la femme d’aimer.

[…]