Un jour… Un chef-d’œuvre! (97)

Quand la guerre commence, l’enfer s’ouvre.

Proverbe polonais (1905)

 

Otto Dix (1891-1969), Otto Dix, La Guerre, 1932.

Certaines constatations s’imposent : certains événements du passé qui ont été déterminants pour notre vie actuelle sont en train de s’enfoncer dans les méandres de l’histoire. Par la force des choses ! Il s’est écoulé plus d’un siècle depuis le début de la Première guerre mondiale et il ne reste à ce jour plus aucun survivant de cet inimaginable carnage (18,6 millions de personnes y sont mortes et 20 millions y ont été blessées… sans parler de la grippe espagnole qui en est une conséquence directe !) qui a mis nos régions à feu et à sang. Petit à petit la Grande Guerre, comme on l’a nommée, disparaît de la conscience de nos contemporains.

Claude Debussy (1860-1918), Berceuse héroïque, version pour orchestre, interprété par le Royal Concertgebouw d’Amsterdam, dirigé par Eduard van Beinum.

Composée à la demande du romancier Hall Caine pour un livre d’hommage au roi des Belges (« King Albert’s book ») publié par le « Daily Telegraph », la Berceuse Héroïque de Claude Debussy intègre quelques fragments de l’hymne national belge, La Brabançonne. Dédicace : « Pour rendre hommage à S. M. le Roi Albert Ier de Belgique et à ses soldats ». – Date de composition : novembre 1914. – 1re exécution : Paris, 26 octobre 1915, par l’Orchestre des Concerts Colonne-Lamoureux, sous la direction de Camille Chevillard.

J’en veux pour preuve ces quelques réflexions entendues à divers endroits ces dernières années où de jeunes adultes évoquaient le 11 novembre comme un jour ouvrable normal (en dehors du confinement actuel) et s’étonnaient que magasins, écoles ou administrations étaient fermés à cette date. Ils ne savaient plus pourquoi le jour était férié. S’il ne s’agit, je l’espère, sans doute pas de la majorité des jeunes et il est à souhaiter que l’enseignement, les médias et autres actions monuments commémoratifs parviennent encore à la conscience du plus grand nombre. Car il serait bien regrettable que ces faits, dont notre liberté actuelle résulte, se rangent au rang de faits historiques. Vous me rétorquerez sans doute que c’est le lot de tous les faits de l’histoire. Tant que des survivants transmettent le souvenir ému et fervent, on n’oublie pas, mais quand tous ont disparu, seuls les historiens qui relatent les faits et les artistes qui les expriment font encore le relais.

Réfugiés belges sur la route de l’exode en 1914… des images malheureusement universelles qui, malgré le changement d’époque, restent d’actualités en de nombreux endroits du monde.

Si le jour reste donc férié en Belgique, c’est sans doute pour qu’il reste un symbole, un jour où la mémoire doit agir comme un déclencheur de conscience. Car les leçons de l’histoire sont loin d’être retenues. Si, pour l’instant, nos régions sont épargnées par les guerres militaires (car manifestement d’autres types de guerres sont en cours et elles sont d’ordre sanitaire, économique et financier), la guerre est là, partout dans le monde… Or, qui dit guerre dit désastres humains… et qui dit désastres dit mort et douleur. C’est un message de paix que je veux envoyer aujourd’hui en reprenant l’histoire du Wagon de l’Armistice en espérant modestement réveiller la mémoire et le respect pour tous ces gens morts pour nous.

« En 1914, la compagnie des chemins de fer français avait passé commande de vingt-deux wagons restaurants. En 1918, trois d’entre eux furent affectés au train d’état major du maréchal Foch, qui fit aménager le 2419D en salle de réunion après avoir fait supprimer les cloisons. Les larges vitres flanquées de porte-bagages métalliques éclairaient la longue table où le destin de millions d’hommes serait scellé par deux fois.

C’est en effet dans ce wagon que fut signé l’armistice du 11 novembre 1918 mettant un terme à la première guerre mondiale après des négociations de quatre jours dans la clairière de Rethondes près de Compiègne. Les délégations allemandes et alliées stationnèrent quelques mois à Spa, dans nos Ardennes belges pour préparer les termes du traité résultant de la signature de l’armistice. Les négociations définitives se feront à Trèves. Le wagon fut utilisé plusieurs fois pour faire la route entre Luxembourg, devenu le quartier général des alliés et Trèves qui accueille la rédaction définitive du traité entre décembre 1918 et février 1919.

Le wagon de l’Armistice après 1918 à Compiègne.

Après 1918, le wagon fut amené aux Invalides et les Parisiens purent le visiter avec le respect dû aux lieux chargés de mémoire. Les années passèrent, l’émotion retomba et les intempéries eurent tôt fait de mettre à mal le vieux wagon. C’est en 1927 qu’un américain obtint du gouvernement français l’autorisation de le remettre en état et de l’exposer dans la clairière de Rethondes qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Transformé en musée, il ressortit de l’oubli lorsque, le 22 juin 1940, Hitler exigea de faire signer la demande d’armistice à l’endroit même où, vingt deux ans plus tôt, son pays avait été humilié. Une fois le France vaincue, Hitler ordonna de transférer le 2419D en Allemagne et, cette fois, ce furent les Berlinois qui, pendant une semaine, purent le visiter.

Juin 1940 Wagon de l’armistice franchissant la porte de Brandebourg à Berlin

En 1944, à l’heure où le Reich vacillait, les SS le firent détruire pour qu’il ne retrouvât jamais la clairière française. Celui qui est aujourd’hui exposé à Rethondes est une réplique, trouvée en Roumanie et restaurée, du véhicule le plus fameux des chemins de fer. »

(D’après Daniel Appriou, Petites histoires de l’histoire, Paris, Acropole, 2008.)