Un jour… Un chef-d’oeuvre! (73)

« Ils arrivent « chez nous » sur notre monceau de terre
Voulant juste voir grandir leurs gosses loin de la misère
Voulant juste réaliser ce pourquoi ils sont nés : vivre
Ils ont traversé la mer au péril des flots, à la dérive… »

Gérald Prévot

73b. Mère migrante (Migrant Mother), par Dorothea Lange, 1936

Dorothea Lange (1895-1965), Mère migrante, Californie, 1936 (détail).

Ce cliché d’une mère et de ses enfants réfugiés dans un centre pour migrants a été largement diffusé et est devenu un symbole de la pauvreté et de la détresse dans l’Amérique d’après le Krach et dans l’entre-deux-guerres.

Samuel Barber (1910-1981), Adagio pour cordes op.11 (1938), interprété par le Los Angeles Philharmonic Orchestra dirigé par Leonard Bernstein.

« Les années qui suivent le krach boursier du 24 octobre 1929 sont surnommées « the bitter years » (« les années amères ») : le krach entraîne une crise économique sans précédent aux États-Unis, aggravée par une sécheresse dans les États du sud. Les immigrants qui débarquent d’Europe à la recherche du rêve américain, ou fuient l’URSS, le régime nazi ou les régimes fascistes de l’Europe de l’Est, trouvent en Amérique une situation économique plus désastreuse encore. C’est dans l’Amérique rurale que la situation est la plus alarmante : la sécheresse empêche les paysans d’effectuer leurs récoltes et engendre une crise grave de l’emploi. Les chômeurs errent dans les villes, à la recherche de soupes populaires ou de petits travaux quelconques, désœuvrés, ou se retrouvent sur les routes, allant de ville en ville. Ils recherchent du travail chez les propriétaires terriens, dans les coopératives. On les appelle alors des migrants. Ils s’installent dans des camps de fortune, sans eau potable, et tournent en rond. […]

En 1935, Dorothea Lange est en Californie à titre d’assistante de son nouveau mari, Paul Schuster Taylor, qui travaille pour la Resettlement Administration : elle est chargée de prendre des notes, de discuter avec les migrants et, accessoirement, de prendre des photographies. Il se trouve que le premier rapport qui résulte de cette collaboration rencontre un franc succès politique, et passe même entre les mains d’Eleanor Roosevelt ; un financement de 20 000 $ est débloqué pour construire le premier camp de migrants de Marysville (Californie), en octobre 1935. Les photos de Dorothea Lange sont appréciées pour leur justesse et leur pouvoir évocateur : elles plaisent aux lecteurs et aux éditeurs de la presse nationale. Désormais, le champ d’action du couple Taylor-Lange s’étend à l’Arizona, au Nevada, au Nouveau-Mexique et à l’Utah, en plus de la Californie.

La prochaine mission de Dorothea Lange se déroule dans le cadre de l’« Office de l’aide d’urgence fédérale », qui a fondé le camp de Marysville. Son employeur direct est la « Division de la réhabilitation rurale » […] Ceci est vécu comme une trahison de la part des propriétaires terriens, qui voient dans les aides aux pauvres une motivation « socialiste » Rexford Tugwell, collègue de Roy Stryker, prône l’utilisation de la photographie pour obtenir le soutien des sphères politiques et financières : la photographie, faisant appel à l’émotion, semble le meilleur média pour y parvenir. […]

73a. Mère migrante (Migrant Mother), par Dorothea Lange, 1936

Dorothea Lange (1895-1965), Mère migrante, Californie, 1936.

Rexford Tugwell se rend compte de la valeur des compétences qu’il a à disposition et a probablement l’intuition que lui et son équipe disposent d’un point de vue privilégié pour informer les États-Unis de l’ampleur de la crise qu’elle traverse. On peut cependant imaginer les conflits qui peuvent exister entre Roy Stryker et les photographes du terrain : celui-ci a une attitude très rationnelle vis-à-vis des images, qui doivent selon lui être informatives et neutres. Il vérifie ainsi systématiquement les négatifs, pour vérifier qu’ils ne sont pas pervertis en « art ». Cependant, si Dorothea Lange n’a pas encore conscience de la valeur artistique de son travail, son but est de photographier des gens inextricablement pris dans une situation économique qui la révolte. Ses photographies portent donc un jugement clair, le sien, ce qui leur donne un tel impact social et politique. »

Dorothea Lange (1895-1966), Extrait de l’article biographique de Wikipédia.