L’Enclos en automne…

 

Il règne, en ce beau dimanche matin de Toussaint, une lumière exceptionnelle sur le Parc de la Citadelle à Liège. Désert, l’endroit miroite des mille couleurs de l’automne. Beauté sublime dont on ne se lasse jamais, la saison qui annonce le crépuscule de l’année est aussi la plus poétique. Peut-on joindre cet adjectif poétique à la nature qui ne fait qu’obéir au cycle biologique des plantes ? Non sans doute, mais comme toujours, l’émotion naît de nos souvenirs, de notre capacité à nous émerveiller des choses et à les rapprocher de nos sensations et nos idées. Ainsi l’exemple que nous offre la nature n’est jamais banal. Il est même si essentiel qu’il nous ramène à nous-même, à nos cycles de vie, à notre finitude. L’automne, en ce sens, est le début de la fin, le crépuscule de l’année, avant la renaissance du printemps.

 

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Et justement, mes pas me conduisent, chemin faisant, vers l’Enclos de Fusillés qui rappelle que la Citadelle, aujourd’hui si paisible, malgré son énorme hôpital, fut le lieu de terribles tragédies lors de la Seconde Guerre mondiale. Une pensée pour tous les malades qui souffrent dans l’immense bloc hospitalier et un moment de recueillement dans cet enclos où règne une ambiance surnaturelle. Comment également imaginer qu’un jour, une bretelle d’autoroute pourrait anéantir ce lieu magique et tout son quartier, l’un des derniers poumons verts de Liège?

 

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Seul dans cet endroit paisible, je ne fréquente presque jamais les cimetières, je me dis que ce premier novembre peut aussi être l’occasion d’avoir une pensée pour ceux qui, là et ailleurs, sont morts pour notre liberté. Ce n’est pas rien. Des gens de tous les horizons, des liégeois, certes, des résistants belges, des juifs, des russes, des américains, des polonais, des français,… toutes personnes qui avaient une famille, qui étaient jeunes et en bonne santé et qui furent, entre 1941 et 1944 fusillés, souvent après avoir été torturés. Leur faute ? Se battre contre la barbarie. 

 

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La plaque en bronze originale volée il y a quelques années!

 

L’Enclos des fusillés de Liège est un petit cimetière qui compte 416 tombes de personnes fusillées ou abattues par la Wehrmacht ou la Waffen-SS. L’enclos et son cimetière font partie des vestiges du bastion Saint-François de l’ancienne citadelle.

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L’entrée des lieux se fait par le cimetière. Chaque tombe est marquée par une croix mais seules 99 personnes restent inhumées. Les autres corps ayant été rendus à leur famille.

 

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Trois tombes de soldats russes inconnus…

 

 

Viennent ensuite la pelouse d’honneur avec l’endroit des poteaux d’exécution, un enclos muré, dit place d’arme, avec le souterrain par où arrivaient les condamnés en provenance du bloc 24 et un deuxième enclos muré accessible du premier par un escalier et qui a servi de lieu d’exécutions et de fosse commune.

 

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Il règne en ce lieu une ambiance automnale formidablement sereine. Tout est calme et me reviennent quelques vers tragiques du poète russe Evgueni Evtouchenko de son élégie consacrée aux victimes de la guerre au charnier de Babi Yar près de Kiev… texte mis en musique de sublime manière par Dmitri Chostakovitch.

 

« Il n’est au Babi Yar sur tant et tant de tombes

Pas d’autre monument que ce triste ravin.

[…]

Nous avons si peu à voir et à sentir !

Les feuilles et le ciel ne sont plus pour nous,

Mais nous pouvons encore beaucoup – 

Nous embrasser tendrement

Dans cette sombre chambre.

[…]

Ici, en silence, tout hurle,

Et, me découvrant,

Je sens mes cheveux blanchir lentement,

Et je deviens un long cri silencieux

Au-dessus des milliers et milliers d’ensevelis :

Je suis chaque vieillard fusillé ici,

Je suis chaque enfant ici fusillé,

Rien en moi ne pourra l’oublier. »

 

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Ne pas oublier… ne jamais oublier, ni ceux qui sont directement les nôtres, ceux qui ont fait qu’aujourd’hui on existe, nos parents et ancêtres, ni ceux qui par leurs actions, leur détermination et leur sacrifice, ont permis qu’on puisse le dire et le clamer bien haut. Nous vivons dans un monde dangereux car il oublie. 

 

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Et l’oubli ranime ses vieux démons. Sous le prétexte de se protéger lui-même, l’homme en vient à rejeter l’autre, son semblable, à le mépriser. On pratique l’amalgame, même sans s’en rendre compte… symbole récent… atroce, cette jeune femme d’un petit village belge (oui, chez nous !), qui refuse l’arrivée des réfugiés parce qu’elle craint de rencontrer quelqu’un lors de son jogging !!! Se rend-elle compte de ce qu’elle dit ouvertement face à la caméra… ? La bêtise, l’égoïsme le plus abject et l’absence de mémoire pour ceux qui, un jour nous ont accueilli, de quelque manière que ce soit… ou encore une manifestation perfide d’une mémoire mal orientée par quelque populisme odieux… Choquantes, ces réactions animées par l’aveuglement, l’arbitraire et la xénophobie… « notre jardin n’est même pas clôturé »… À l’heure où nous commémorons nos morts, dans un essentiel devoir de mémoire, et que nous fleurissons leur tombe, n’est-il pas aussi important de vivre avec les vivants… et de leur éviter la tombe ?

 

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Le beauté d’un dimanche d’automne comme celui-ci pourrait me donner l’espoir d’un monde meilleur, la bouffée d’oxygène et de grandeur y contribue… Mais ce pourrait reste au conditionnel, en effet, car le retour à la réalité, à l’observation du monde ne nous laisse trop souvent voir que le contraire… l’intolérance, l’exclusion, la peur et l’égoïsme ! Hélas ! Mais comme la sagesse populaire le dit : « Tant qu’il y a de la vie,… il y a de l’espoir »… Espérons donc !