C’est beau, le basson !

Je vous l’avais annoncé récemment, le dernier concert du mercredi de la saison des Concerts de l’U3A avait fait la part belle au basson et à deux musiciens exceptionnels. L’excellente Laurence Criquillion présentait cet instrument méconnu avec la complicité du formidable pianiste Paul Lauwers. Le public curieux et très nombreux se demandait bien ce qui l’attendait !

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Un programme varié et de toute beauté permettait de mesurer l’ampleur des possibilités de celui qu’on réduit trop souvent à Grand Père Basson dans Pierre et le Loup. Très physique et cependant d’un lyrisme saisissant, le basson, sous le souffle et les doigts de Laurence déclinait mille couleurs et d’innombrables subtilités.

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Le concert débutait avec la très belle Sonatine d’Alexandre Tansman (1897-1986), un compositeur franco-polonais à l’immense production, plus de 300 opus, qui reste largement à découvrir. La Sonatine, au programme ce soir, date de 1956 et allie, ce qui est souvent le cas dans les œuvres de Tansman, une modernité évidente alliée à un lyrisme quasi romantique. On peut y retrouver des influences nettes de rythmes proches de Stravinsky dont il était l’ami. Structurée en trois mouvements la Sonatine offre, dans son Allegro con moto initial, une vive virtuosité que Laurence, d’emblée, maîtrise parfaitement. L’Aria, un peu mélancolique, montre un tout autre basson, celui qui chante de sa voix chaude et pleine. De toute beauté, on croit y reconnaît parfois quelques proximités mélodiques avec les mouvements lents de D. Chostakovitch. Le Scherzo final est un défi pour les deux musiciens ! Notes rapides et répétées, détachées où la partie de piano, très virtuose, elle aussi, semble poursuivre le basson en un jeu continu d’échanges de motifs non dénués d’un certain humour… à moins que ce ne soit du sarcasme…

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La Sonate pour basson et piano de Camille Saint-Saëns (1835-1921) marque l’achèvement de la carrière du compositeur. Le compositeur infatigable de 85 ans avait le projet, en 1921, année de son décès, d’écrire une sonate pour chaque instrument à vent. Le projet verra naître les très belles œuvres pour hautbois, pour clarinette et, la toute dernière de sa production, la sonate pour basson au programme de notre concert. Y avait-il chez Saint-Saëns quelque chose de l’idée de Claude Debussy qui, pendant la Première Guerre Mondiale, voulait ramifier avec un sentiment patriotique, sa musique à la sonate française ancienne et qui, emporté trop tôt par le cancer, n’avait réalisé que trois sonates sur les six projetées ? Les spécialistes ne trouvent pas l’hypothèse non avenue…

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Toujours est-il cette musique, écrite par un homme dont la carrière dense et intense était derrière lui, n’a rien perdu de sa verve, de son humour et de son lyrisme. On n’y entend ni tragique, ni pathétique, tout au plus un peu d’une belle nostalgie dans le 3ème mouvement. Le début,  riche Allegretto moderato, est assez paisible et ne trouve un peu d’agitation qu’en son centre. Le scherzando qui suit propose quelques rythme piquants, ironiques et pleins d’un humour mesuré qui évoque l’espagnolade. Le langage néo-classique de Saint-Saëns nous bouleverse ensuite dans le superbe et long adagio élégiaque, profondément mélancolique et de toute beauté ! Superbe dans ses nuances, ses timbres et ses phrasés, Laurence Criquillion parvient à faire de ce moment musical une pièce essentielle et bouleversante ! Le rapide et bref final surprend par son côté joyeux… juvénile même ! Comme le mentionne justement le Guide de la Musique de chambre édité chez Fayard (p.758) : « Un minuscule finale Allegro moderato ferme la sonate sur un pied de nez… Saint-Saëns achève sa carrière de compositeur sur une pirouette ». Une musique que nos interprètes parviennent à rendre indispensable suscitant chez les auditeurs l’envie d’encore écouter cette si belle musique.

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Un peu de temps de repos bien mérité pour nos musiciens, le basson est terriblement éprouvant physiquement, me permettait alors de présenter le festival d’été 2019 sur lequel je reviendrai très vite et en détail dans les prochains jours ici même. Déjà, les musiciens revenaient sur scène, l’occasion pour moi de dire quelques mots sur le fonctionnement du basson, sur son histoire et son répertoire avec la complicité de Laurence.

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Puis le concert reprenait avec la superbe Romance en ré mineur op.62 d’Edward Elgar (1857-1934). La pièce, originellement composée pour basson et orchestre, fut écrite entre 1909 et 1910 pour le basson solo du London Symphony Orchestra, Edwin F. James qui la créa en 1911 avec E. Elgar lui-même à la direction. Le compositeur en fera ensuite un arrangement pour violoncelle et orchestre, ce qui ne surprend guère, quand on sait que le basson est un peu l’équivalent pour les bois du violoncelle pour les cordes. La musique est poétique et de toute beauté. Son doux chant explore toutes possibilités vocales de l’instrument et exige un sens de la phrase, reflet de la pensée du compositeur… qualités que possède assurément Laurence Criquillion. Le public est sous le charme !

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Le concert s’achevait par une véritable pièce de bravoure, le très bel Andante et Rondo hongrois de Carl Maria von Weber (1786-1826). « Les deux compositions pour basson et orchestre de Carl Maria von Weber font office d’exception au cours d’un siècle où peu d’œuvres consacrées au répertoire de basson seul virent le jour, contrairement aux XVIIIe et XXe siècles. Ce fut pour le bassoniste de l’Orchestre de Munich, Georg Friedrich Brandt, que Weber composa l’Andante e Rondo Ungarese Opus 35, répondant également au succès de son Concerto pour basson Opus 75. Il s’agit en fait d’un remaniement d’une composition antérieure puisque sa forme première consistait en une pièce pour alto solo et orchestre destinée à son frère. Les modifications que Weber apporta à la version de basson se concentrent essentiellement sur la partie de soliste, mais le caractère de l’œuvre demeure essentiellement similaire. » L. Perkins, Hyperion, 2002.

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Elle débute par un magnifique Andante un peu triste écrit sur un rythme de sicilienne et ponctué régulièrement des rythmes fatidiques… du destin de la Cinquième Symphonie de Beethoven… l’occasion pour le basson d’entamer à chaque coup menaçant, une nouvelle variation… que quelques fois, on frôle le thème de la célèbre folia. Dans cette première partie, les qualités mélodiques de l’instrument sont exploitées avec beaucoup de finesse rendue à merveille par nos deux musiciens. Lorsque la dernière variation très virtuose se referme sur le motif du destin plus puissant que jamais, le rond à la hongroise débute. C’est un florilège des possibilités virtuoses du basson qui clôt le concert avec une danse évoquant quelques fois la Czardas mais qui résume bien l’esprit si romantique de l’auteur du Freischütz.

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Véritable découverte, le répertoire, rare et pourtant magnifique du basson a littéralement charmé le public fidèle des Concerts de l’U3A qui a voyagé dans d’inouïes sonorités pendant une heure unique et inoubliable. Acclamés, nos musiciens ne peuvent cependant pas offrir le traditionnel bis d’après concert. Laurence Criquillion est attendue à l’Opéra royal de Wallonie pour la première de La Clemenza di Tito de Mozart où elle tient l’une des deux parties de basson ! Il est 19H15… le spectacle commence, de l’autre côté de la ville, dans 45 minutes… on les laisse filer avec l’immense envie de les revoir bientôt sur notre scène !

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Voilà la vie de passionnée et passionnante de nos jeunes musiciens. Comme je suis heureux et fier de leur faire confiance ! Ils le méritent tellement !

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