Un jour… Un chef-d’oeuvre! (9)

Les Passions de l’Âme humaine ou de la capacité que possède l’art à nous émouvoir de manière multiple… le baroque vénitien… et une compositrice exceptionnelle!

Bernardo Strozzi, Joueuse de viole de gambe, vers 1640

Bernardo Strozzi (1581-1644), Joueuse de viole de gambe, vers 1640. Barbara est peut-être représentée ici. Elle était la fille adoptive du peintre, membre éminent de l’Accademia degli Incogniti et librettiste de Claudio Monteverdi. Barbara fut l’élève de Francesco Cavalli avant de devenir, à Venise, l’une des rares compositrices d’immense talent. 

Barbara Strozzi (1619 – 1677), « Che si può fare », extrait de Arie op. 8 no. 6, (1664) interprété par Céline Scheen et l’Ensemble Artaserse.

Strozzi Che si puo fare bilingue

« […] Lorsqu’il traite des arts faisant place à la narration, René Descartes (1596-1650) distingue aussi les passions suscitées par les fictions que mettent en scène le roman ou le théâtre, d’un plaisir qui leur est étroitement lié mais qui ne se confond pas avec elles: « lorsque nous lisons des aventures étranges dans un livre, ou que nous les voyons représentées sur le théâtre, cela excite quelques fois en nous la tristesse, quelques fois la joie, ou l’amour, ou la haine, et généralement toutes les passions, selon la diversité des objets qui s’offrent à notre imagination; mais avec cela nous avons du plaisir de les sentir exciter en nous, et ce plaisir est une joie intellectuelle qui peut aussi bien naître de la tristesse, que de toutes les autres passions« . Dans ce passage décisif de l’article 147 des Passions de l’âme (le dernier ouvrage du philosophe, ndlr), Descartes distingue ainsi deux types d’émotions: les passions suscitées par la chose représentée et le « plaisir » pris à l’épreuve de ces passions. Que les deux soient de nature différente, c’est ce que prouve le fait que ce plaisir peut être ressenti aussi bien à l’occasion d’une passion positive que d’une passion négative. La terreur, l’indignation et la pitié n’ont pas moins d’attrait que la joie ou l’admiration. Elles pourraient même en avoir davantage.

C’est ce que suggère un autre curieux passage des Passions de l’âme, consacré au chatouillement. Si le chatouillement est un sentiment agréable, soutient Descartes, c’est qu’il consiste « en ce que les objets des sens excitent quelques mouvements dans les nerfs, qui seraient capables de leur nuire s’ils n’avaient pas assez de force pour lui résister ». L’âme se réjouit de la bonne disposition du corps éprouvée à l’occasion de cette résistance. Le plaisir pris aux affects négatifs dans l’expérience artistique s’explique donc:  » c’est presque la même raison qui fait qu’on prend naturellement plaisir à se sentir émouvoir à toutes sortes de passions, même à la tristesse et à la haine, lorsque ces passions ne sont causées que par les aventures étranges qu’on voit présenter sur un théâtre, ou par d’autres pareils sujets, qui ne pouvant nous nuire en aucune façon, semblent chatouiller notre âme en la touchant »».

Carole Talon-Hugon, article René Descartes (extrait), dans  le Dictionnaire Arts et Émotions, Paris, Éditions Armand Collin, 2015, p. 104.