La Musique des émotions

On dit que la musique révèle l’âme des Hommes. On dit aussi qu’elle peut parfois générer la bienveillance, l’empathie et la générosité… Je témoigne aujourd’hui de la vérité de ces propos.

Ce que nous avons ressenti lors de concert de l’U3A en hommage à notre chère Ella Petnichenko (voir les articles précédents) mercredi dernier est pratiquement indicible. Les mots sont faibles là où règne la force de la pure émotion. Et de cet émoi, il en était question grâce, en premier lieu, à l’héritage que nous avons pu recueillir à travers quelques vidéos d’Ella… non que ces documents comblent l’absence, c’est impossible, mais qu’il réactivent notre mémoire d’avoir vécu ces moments ou stimulent notre imagination à les concevoir.

Merci à Jean Cadet pour toutes les photographies.

Mais l’inévitable tristesse se devait d’être compensée pour ne pas faire de cette soirée une veillée funèbre, mais un moment de vie. J’avais imaginé de rassembler ses amis très proches, le baryton Denis Gabriel et la pianiste Mana Yuasa. Ensemble, avec Ella, nous devions refaire, sur notre modeste scène, la séance commentée consacrée à La Traviata de Giuseppe Verdi que nous avions donnée à Malmédy l’été dernier. Ils ont accepté sans la moindre hésitation. Denis avait choisi, juste avant la diffusion de la vidéo d’Ella chantant le fameux air de bravoure Sempre libera, de nous interpréter une touchante mélodie de Vincenzo Bellini, chantant l’absence, Vaga luna inargenti  et, surtout le grand air de Germont, Di Provenza il Mar dans ladite Traviata où, s’adressant à son fils, il se souvient avec émotion du bonheur d’autrefois… bouleversant !

Mais avant ce grand moment de musique où Denis et Mana semblaient transcendés par l’émotion, le public s’était pressé dans notre salle 11 où les 140 places n’étaient plus suffisantes. Il nous fallut ajouter une vingtaine de chaises pour placer et accueillir tous ceux qui désiraient s’unir à cet hommage. Aux premiers rangs, sa maman et sa sœur, bouleversées. C’était un grand honneur pour moi de leur montrer que le souvenir d’Ella ne s’estompait pas et qu’il était bien plus fort que l’oubli. Puis sa famille d’accueil et ses amis les plus proches venus nombreux… Enfin, tous les mélomanes, plus d’une centaine, généreux, empathiques et bienveillants… si caractéristiques de nos concerts de l’U3A et bien décidés de rendre un hommage digne du talent d’Ella.

Après quelques mots d’introduction, de bienvenue et d’explication sur le déroulement de la soirée, nous débutions le concert par une vidéo tournée en 2018 dans laquelle Ella, à la Salle académique de Liège, chantait une célèbre mélodie ukrainienne. C’était aussi l’un des buts de la soirée que de rendre un hommage vibrant à l’Ukraine et le martyre que sa population vit actuellement. Le bénéfice de la soirée sera d’ailleurs reversé à une association qui œuvre à Liège pour aider les victimes de la guerre.

Je voulais aussi impliquer de jeunes musiciens talentueux à ce concert. Ils sont l’avenir de la musique et l’expression de sa vie pour les prochaines années. Leur offrir notre scène est l’ADN de nos activités musicales à l’U3A. Khrystyna Khorchynska, magnifique hautboïste, ukrainienne, elle aussi, restait dans l’esprit en interprétant avec brio Dessins ukrainiens pour hautbois solo de Lev Kolodub (1930-2019), un musicien fort peu connu chez nous.

C’était ensuite l’incontournable Wolfgang Amadeus Mozart qui nous offrait sa grâce sublime dans le deuxième mouvement de son concerto pour flûte en sol mineur, superbement interprété par Juan Josè Bolaños, étudiant au Conservatoire royal de Liège, avec, dans le rôle de l’orchestre, le piano de Mana Yuasa. Un grand moment de temps suspendu.

Denis et Mana montaient ensuite sur la scène pour les bouleversants Bellini et Verdi évoqués ci-dessus. L’émotion fut à son comble avec le Sempre libera d’Ella filmé à Luxembourg en 2020. Tout son extraordinaire potentiel s’y faisait sentir. C’est l’univers entier qui semblait sonner dans l’extraordinaire fin de l’air de Violetta et son emblématique mi bémol aigu, note sublime, symbole même de la liberté… C’est un peu comme si Ella chantait pour nous, comme cela aurait dû se faire en ce jour si le destin n’en avait pas décidé autrement. Difficile pour moi de reprendre la parole après cela et pour la salle de se reconcentrer.

Mais l’extraordinaire talent de Khrystyna et de Mana allait nous emporter dans la musique vivante en interprétant au cor anglais la magnifique et spectaculaire fantaisie d’Antonio Pasculli (1842-1924), un grand virtuose des anches doubles, Amelia – un pensiero del Ballo in Maschera.

On retrouvait ensuite le superbe Denis Gabriel dans la fameuse Romance à l’Étoile de Tannhäuser de Richard Wagner. Ce fut un moment sublime et une interprétation absolument bouleversante… où le piano de Mana, en un postlude merveilleux, nous conduisait dans les méandres de l’espace philosophique de Wagner. Une musique des sphères…

Une dernière intervention Juan Josè Bolaños ramenait tout le monde sur terre avec l’époustouflante étude pour flûte solo d’Astor Piazzolla et, avec Mana Yuasa au piano, avec la saudade, ce sentiment mélancolique mêlé de rêverie et d’un désir de bonheur imprécis, du magnifique tango Oblivion fameux compositeur argentin.

Si Oblivion, mot indirectement issu du latin oblivio et repris de l’ancien français, signifie «oubli», notre soirée, elle, n’oubliait rien. Au contraire on se souvenait de la belle personne qu’était Ella. Tous ceux qui ont eu la chance de la rencontrer se souviendront de son immense talent, certes, mais aussi de sa curiosité, de son besoin d’apprendre, de sa sympathie, de sa gentillesse et de son sourire… de son humanité ! S’il est coutume d’honorer les disparus par des propos élogieux, il n’en est rien ici. Ella était vraiment tout cela ! Une dernière vidéo refermait la soirée avec un air qui lui convenait à merveille et qui lui ressemblait… la superbe valse Je veux vivre… tiré du Roméo et Juliette de Charles Gounod. Si le destin a contrarié ce beau dessein et qu’Ella n’est plus là, elle restera, c’est sûr, et pour toujours, dans nos cœurs !