Un jour… Un chef-d’œuvre (230)

Les plaisirs ont choisi pour asile ce séjour agréable et tranquille…

Philippe Quinault (1635-1688)

Nicolas Poussin (1594-1665), Renaud et Armide, 1629.

Jean-Baptiste Lully (1632-1647), Armide, Les plaisirs ont choisi pour asile… interprété par Les Arts florissants, dirigés par William Christie.

Armide est la dernière tragédie en musique (en cinq actes et un prologue) terminée par Jean-Baptiste Lully. Elle fut composée en 1686 sur un livret de Philippe Quinault et est souvent considérée comme le chef-d’œuvre des deux artistes. Après Armide, Quinault renonce au théâtre et, un an plus tard, Lully meurt de la gangrène.

Une femme se penche sur un soldat endormi au pied d’un arbre. L’épée au côté, il a replié un bras sur son bouclier. Son casque est tout près, dans le coin du tableau.

Elle s’est agenouillée, la main posée sur celle du jeune homme. Il n’est pas certain qu’elle le touche vraiment. On la sent attentive à ne pas l’éveiller alors qu’elle observe ses traits à son insu. Si la douceur de son geste n’y suffisait pas, la façon dont elle le regarde dormir serait déjà la preuve de la tendresse qu’elle éprouve pour lui. C’est un moment précieux.

Pourtant, la jeune femme, de l’autre main, tient aussi un poignard qui contredit vite la première impression. L’histoire se complique. Un petit enfant ailé, qui n’est autre que Cupidon, personnification de l’Amour, s’agrippe de toutes ses forces au bras de la belle et l’empêche visiblement d’utiliser son arme. À son air préoccupé, on devine qu’il a du mal à parvenir à ses fins. 

L’épisode se situe pendant les croisades. La magicienne Armide, une sarrasine, a conçu le projet de tuer Renaud, un chevalier chrétien. Poussée par une fureur vengeresse, elle s’apprête à porter un coup. Elle s’est approchée sans bruit. Là où elle se tient, tout serait facile, terminé en une seconde. Mais c’était conclure trop vite. Voilà que Cupidon s’en mêle, lui qui aime brouiller les cartes et provoquer des imbroglios dont personne ne sort indemne. Il lui insuffle un amour si grand pour cet homme qu’elle renonce sur-le-champ. Elle venait le mettre à mort, et il lui vient le désir de lui caresser les cheveux. Elle ne sait ce qui lui arrive. 

La mythologie nous emble tellement éloignée de la vie réelle, les tableaux qui la représentent sont si dépourvus de sens pour celui qui ne relit pas régulièrement ses classiques qu’il est souvent difficile de s’y intéresser… À plus forte raison quand les personnages nous sont aussi peu familiers que Renaud et Armide. Pourtant, il n’est pas indispensable de se plonger dans le récit entier de La Jérusalem délivrée, écrit par le Tasse à la fin du 16ème siècle, ni d’entrer dans le détail de leurs aventures pour en saisir la substance: un mélange étrangement serein d’amour et de haine meurtrière. […]

François Barbe-Gall, Comment regarder un tableau, Paris, Éditions Chêne, 2016, pp. 267-270.