Un Marathon d’été… Festival J+4

La chaleur intense de samedi n’avait découragé ni les musiciens, ni le public venu nombreux pour la quatrième journée du Festival à l’U3A de Liège ! Après tout, des Voyages d’été sans soleil pourraient se révéler assez tristes. L’astre du jour était bien là et pas seulement à l’extérieur. Pour le mélomane, le marathon était de taille. Trois concerts plus alléchants les uns que les autres allaient débuter et l’on sentait un peu de fébrilité au moment où l’extraordinaire talent de nos musiciens allait se révéler. Les concerts seraient-ils aussi bons et riches que ceux des trois premiers jours ? Ils le furent assurément, chacun avec son voyage, c’est le but, moments inoubliables qu’un modeste billet sur mon blog ne peut qu’évoquer évasivement là où j’aimerais écrire à quel point ces artistes m’émeuvent et me confortent toujours un peu plus dans mon amour de la musique.

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Toutes les photos sont d’Armand Mafit.

Place aux plus jeunes pour la première séance. Je le dis très souvent, peut-être trop, mais il me semble essentiel d’offrir notre scène aux jeunes talents… de chez nous et d’ailleurs. C’est dans cet esprit que j’avais demandé à la flûtiste Élodie Lambert de me préparer un récital avec duos flûte-piano, flûte seule et piano seule. Or depuis quelques temps, elle forme avec un pianiste vraiment très talentueux, Valère Burnon, le Duo Ravello. Tout cela tombait à pic ! Valère avait déjà joué plusieurs fois chez nous et j’avais entendu, il y a quelques temps, Élodie lors de séances au Conservatoire de Liège. De plus, Miriam Arnold, professeur et virtuose bien connue, me l’avait chaudement recommandée.

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Le moins que l’on puisse dire c’est qu’on n’a pas été déçus. Le programme concocté associait les variations de Franz Schubert en entrée, la sublime Sonate pour flûte et piano de Serge Prokofiev en fin de concert, le tout agrémenté du quatrième Scherzo de Frédéric Chopin, de Syrinx de Claude Debussy et d’une Fantaisie pour flûte seule de Georg Philipp Telemann ! Il y en avait donc pour tous les goûts !

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Élodie Lambert a un talent fou. Un son envoûtant, un art de la nuance incomparable et superbe phrasé qui, s’adaptant aux styles divers évoqués ci-dessus avec un bonheur toujours renouvelé. Malgré les difficiles conditions de température, tout reste toujours sous contrôle et nous la suivons avec bonheur dans chacun de ses voyages.

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Son complice, Valère Burnon est superlatif, on le sait. J’ai écrit, par ailleurs tout le bien que je pensais de son jeu et de son art. Son talent est, de plus, reconnu de tous et sa présence toujours brillante sur de nombreuses scènes de concerts et de concours annoncent un avenir radieux, lui qui n’a que… 19 ans ! Je lance ici un appel solennel aux organisateurs de concerts… engagez le Duo Ravello… vous ne le regretterez pas !

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Autres voyages, autres talents, nous accueillions hier pour la première fois Émilie Chenoy qui a été le premier professeur de piano de… Valère Burnon. Elle se souvient d’ailleurs avec émoi de ce petit garçon si doué qui ne vivait déjà que pour la musique. Vous l’avez compris, Émilie est à la fois pédagogue et concertiste. Elle nous proposait deux pièces en solo, les superbes Estampes de Claude Debussy, puis la fameuse et sublime Vallée d’Obermann extraite de la Première année de Pèlerinage de Franz Liszt. Durant le demi-heure réunissant les deux pièces, le piano d’Émile passe par tous les états d’âme, toutes les couleurs. Son geste musical est profondément senti et l’on sent une architecture musicale profondément riche et mûrie.

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Elle accueille ensuite l’une des figures majeures du violon liégeois en la personne de Jean-Gabriel Raelet. Au programme, la superbe Sonate K.304 de W.A. Mozart où la transparence, le chant et surtout la tristesse parisienne de Mozart se fait sentir au moment de la mort de sa maman en 1778. En deux mouvements, la sonate ressent clairement les influences du Strum und Drang et le Tempo di Menuetto qui l’achève est d’une infinie douleur. Nos musiciens l’ont évidemment bien compris et transcendent cette merveilleuse partition.

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La Deuxième Sonate pour violon et piano d’Edward Grieg est d’un tout autre ordre. Composée en 1867, elle adopte cependant un esprit tragique avec, comme toujours chez le compositeur norvégien des allusions profondes à la culture de son pays. Les commentateurs sont tous d’accord pour affirmer qu’elle est plus norvégienne que la première car plus tragique car « la Norvège sans tragédie n’est pas vraiment la Norvège ».

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Musique sublime, menée de main de maître par nos virtuoses. Tout l’esprit est là et un vent de fraîcheur nordique se répand dans notre salle surchauffée. Bravo et Merci !

Restait, pour achever la journée, l’un des clous du festival, le concert de notre quintette favori. Barbara Milewska (violon), Hélène Lieben (violon), Vanessa Baldacci (alto), Étienne Capelle (violoncelle) et Maud Renier (piano) se produisent chaque année sur notre scène et c’est toujours avec un immense plaisir qu’on les accueille. Nous avions convenu, cette année, de mettre au programme le sublime et tragique Quintette avec piano en sol mineur de Dmitri Chostakovitch, l’un de plus importants de l’Histoire du genre.

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L’œuvre avait été un succès et avait même obtenu le Prix Staline, confortant, aux yeux des musiciens et mélomanes occidentaux et à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, l’idée que Chostakovitch était le compositeur du régime. Or, il n’en est rien et si l’homme n’était pas un héros disposé à se faire passer pour dissident, son œuvre n’en est pas mois grave et tragiquement puissante. Le succès sera d’ailleurs de courte durée et les représentations consécutives à l’immense succès de la création ne trouveront pas le même écho positif… rendant même l’œuvre suspecte !

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Articulée autour d’un scherzo qui allie le grotesque à la danse russe, la pièce contient, comme un triptyque, une toccata et fugue comme premier panneau. On y entend tout le tragique du peuple et nos interprètes redoublent d’énergie pour exprimer ce hurlement de la toccata, puis le désespoir de la fugue.

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Passé le scherzo quasi fantasque et troublant dans son élan trop forcé pour être joyeux, mais vous savez comme moi que, chez Chostakovitch, cet élan rythmique et l’ironie sont frères, c’est à nouveau un hommage à la basse continue baroque alliée, cette fois, au chant profondément douloureux de l’être… une infinie souffrance dans un temps, lui aussi infini avant que le final ne vienne renouveler sa demi-teinte tellement poignante et grave. L’œuvre est bouleversante et la salle, comble, met un temps certain à retrouver ses esprits. La musique est art de mémoire et la tragédie qu’évoque Chostakovitch est universelle et intemporelle. C’est là toute sa force. Nos musiciens sont parvenus à nous faire comprendre pourquoi une œuvre si sombre existe et reste actuelle… le devoir de mémoire ! Voilà un voyage au cœur de l’Homme, voilà l’essence de l’art !

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Mais pour finir la journée si riche d’émotions et le dernier concert si tragique, notre quintette nous offre une détente avec un arrangement de la valse de la seconde suite de jazz de Chostakovitch… avec une mise en scène désopilante et bon enfant… acclamations, décidément, Voyages d’été, ce n’est pas rien, c’est une véritable expérience humaine, un parcours initiatique ! Merci !