Autres extases

J’évoquais hier le Poème de l’extase d’Alexandre Scriabine et je me disais, tout en rédigeant mon billet, que l’extase était un état bien étrange qui pouvait regrouper des idées bien différentes les unes des autres. On peut être en extase devant quelqu’un, devant un paysage, une œuvre d’art, une représentation sacrée… ou, tout simplement dans l’isolement, après avoir créé un état intérieur contemplatif. Et on connaît des extases célèbres, de celles qui doivent s’écrire avec un « E » majuscule… et qui passent pour être de nature sacrée.

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Guido Reni, Marie-Madeleine en extase au pied de la Croix (1628-29)

Mais que nous dit le dictionnaire à ce sujet ? L’extase est un état particulier dans lequel une personne, se trouvant comme transportée hors d’elle-même, est soustraite aux modalités du monde sensible en découvrant par une sorte d’illumination certaines révélations du monde intelligible, ou en participant à l’expérience d’une identification, d’une union avec une réalité transcendante, essentielle. On dit encore qu’elle est un état particulier d’une personne en union intime avec la divinité; élan religieux, transport mystique. Par analogie, le terme peut désigner un enchantement, un ravissement d’admiration ou de joie. Dans le domaine psychologique, l’extase s’apparente à un sentiment intense et ineffable paraissant corresponde à une joie indicible teintée d’angoisse qui plonge le sujet dans une immobilité presque complète.  (http://www.cnrtl.fr/definition/extase)

 

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Le Bernin, L’Extase de Sainte Thérèse ou La transfiguration de Sainte Thérèse ou encore La Transverbération de Sainte Thérèse, Chapelle Cornaro de l’église Santa Maria Della Vittoria à Rome (1652)


Saint Paul la décrit encore comme ceci: « Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu’au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait). Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu’il entendit des paroles merveilleuses qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer. » — 2Cor 12 :2-4

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Giovanni Bellini 1430-1516 Saint François en extase.

On le voit, l’extase regroupe pas mal de concepts différents. Mais le point commun est l’état d’abandon qui s’apparente d’ailleurs bien souvent à l’orgasme. Qui n’a jamais pensé à l’extase sexuelle en observant ces œuvres pourtant bien sacrées que sont, par exemple, les représentations de la Marie Madeleine au pied de la Croix de Guido Reni, ou, mieux encore, celle de Sainte Thérèse d’Avila ou de l’Enlèvement de Proserpine dans les célèbres compositions sculpturales baroques du Bernin.

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Détail de L’Extase de Sainte Thérèse du Bernin.

Il existe bien une mystique de la chair où l’érotisme est bien présent. Mais on pourrait tout aussi bien parler de transfiguration (c’est d’ailleurs le titre que Le Bernin avait donné à sa Thérèse d’Avila). La transfiguration n’est d’ailleurs pas incompatible avec l’extase sexuelle.  C’est bien là que l’extase devient le résultat d’un parcours initiatique, parfois fulgurant, parfois long à se réaliser. Et il touche toutes les spiritualités, toutes les philosophies. Pas surprenant donc que les artistes de toutes les disciplines aient cherché à en transmettre l’essence… Après les quelques exemples picturaux, en voici quelques extases poétiques et musicales sans aucune volonté d’organisation et en vrac, seulement pour le plaisir de… l’extase.



 

Victor HUGO (1802-1885)
(Recueil : Les orientales)

Extase

J’étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles.
Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles.
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.
Et les bois, et les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure
Les flots des mers, les feux du ciel.

Et les étoiles d’or, légions infinies,
A voix haute, à voix basse, avec mille harmonies,
Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu ;
Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n’arrête,
Disaient, en recourbant l’écume de leur crête :
– C’est le Seigneur, le Seigneur Dieu !

 

 

Paul VERLAINE (1844-1896)

C’est l’extase langoureuse

C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l’étreinte des brises,
C’est, vers les ramures grises,
Le chœur des petites voix.

O le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l’herbe agitée expire…
Tu dirais, sous l’eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.

Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante,
C’est la nôtre, n’est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s’exhale l’humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ?

 

 

 

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Gustav Klimt, Danae (1907)

 

 

Et pour terminer d’une manière plus crue, plus terre à terre et peut-être plus humoristique, ce très beau mais terrible poème:

 

 

Joris-Karl HUYSMANS (1848-1907)

L’extase

La nuit était venue, la lune émergeait de l’horizon, étalant
Sur le pavé bleu du ciel sa robe couleur soufre. J’étais
Assis près de ma bien-aimée, oh ! bien près ! Je serrais ses
Mains, j’aspirais la tiède senteur de son cou, le souffle
Enivrant de sa bouche, je me serrais contre son épaule,
J’avais envie de pleurer ; l’extase me tenait palpitant,
Éperdu, mon âme volait à tire d’aile sur la mer de l’infini.

Tout à coup elle se leva, dégagea sa main, disparut dans la
Charmoie, et j’entendis comme un crépitement de pluie dans
La feuillée.

Le rêve délicieux s’évanouit… ; je retombais sur la terre,
Sur l’ignoble terre. O mon Dieu ! C’était donc vrai, elle,
La divine aimée, elle était, comme les autres, l’esclave de
Vulgaires besoins !