Héritage?

 

 

Je parlais, hier après-midi, entre Berlioz à Charleroi et Chostakovitch au Concert de l’U3A, j’y reviendrai demain, du rare Concerto pour violon en ré mineur de Robert Schumann en tentant de montrer que l’oeuvre mérite plus que d’être seulement considérée comme une curiosité, mais aussi afin de rappeler la diffusion de ses œuvres après sa mort a dépendu de la volonté de son entourage direct.

À la demande des éditions Breitkopf, Clara Schumann entreprit en 1879 une « édition » complète des œuvres de son défunt mari. Elle l’acheva en 1893 mais en élimina les plus dérangeantes qui ne furent publiées à leur tour après leur découverte plus de soixante ans plus tard. Certaines furent même détruites par l’épouse soucieuse de préserver l’image de son génial amour.

 

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Clara Schumann en 1853


Robert Schumann avait laissé, en 1851 une sorte de testament stipulant que: « Puisque nous sommes tous mortels, je voudrais que les décisions concernant mes œuvres non publiées soient prises par N.Gade et, à défaut, par J. Rietz, bien entendu avec l’accord et les choix de ma chère Clara, et après un examen critique sévère ».

Ainsi après la mort du compositeur à l’asile d’Endenich, Clara substitua aux deux exécuteurs désignés Johannes Brahms et Joseph Joachim, les deux musiciens dont Robert était resté le plus proche pendant son internement. Elle-même décida que l’accompagnement au piano des sonates de Bach pourrait être édité. Brahms cautionna la publication de la superbe Messe en 1862, puis celle du Requiem deux ans plus tard. Certaines des dernières pages pour piano nous sont aussi parvenues, mais d’autres, contenant trop de traces de la maladie de Schumann disparurent. Ainsi les « Caprices de Paganini », Cinq romances pour violoncelle et une sonate pour violon « FAE » (reconstituée grâce à des copies) furent détruits. Après la mort de Clara, certaines œuvres furent éditées. Ce fut le cas, entre autres, du Concerto pour violon en 1941!

 

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J. Joachim et C. Schumann en concert

 


L’oeuvre avait été achevée en octobre 1853 et dédiée à Joachim. Le violoniste lui proposa de venir la lui jouer à Endenich. Il le joua à Clara, d’abord, qui fut effrayée par le tragique de l’œuvre en ré mineur et par les traces évidentes de la maladie mentale de son mari. Elle chercha à convaincre Joachim de le réécrire en estompant les rugosités, mais il refusa. Elle décida donc que le concerto ne devait pas voir le jour et qu’il fallait le détruire, ce qu’elle fit d’ailleurs! Mais par chance, Joachim avait gardé une copie qui fut publiée et jouée pour la première fois en …1956!

C’est dire que pendant un siècle, cette partition, un des chefs d’œuvres du dernier Schumann, resta inconnue. Une anecdote sur sa réhabilitation, mérite d’être mentionnée; une certaine Jenny d’Aranyi, lointaine parente des Joachim, obnubilée par le spiritisme et la voyance clama haut et fort que Schumann lui-même lui avait ordonné par télépathie à faire jouer le concerto pour violon, que le moment était venu pour les hommes d’entendre les voix intérieures d’une douleur extrême incomprise de ses semblables. Ce fut Yehudi Menuhin qui créa l’œuvre avec enthousiasme affirmant qu’il s’agissait là du chaînon manquant entre Beethoven et Brahms.

 

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Fernand Knopff, En écoutant du Schumann

 


Menuhin déclara en 1956: « Ce concerto est un trésor et je suis absolument enchanté. C’est du vrai Schumann, romantique et frais, si logiquement interconnecté dans chacune de ses indications de mouvement. Il est aussi tout au long mentalement sain. A part une petite section dans le premier mouvement, tout est jouable et bien sûr. Joachim n’y avait rien changé. Certes, on peut trouver surprenantes et audacieuses pour l’époque certaines harmonies, mais aujourd’hui, elles n’ont rien d’étonnant. J’espère qu’il y avait de meilleures raisons que cela pour mettre Schumann dans un asile de fous ».

 

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Asile d’Endenich près de Bonn où Schumann termina sa vie

 


Il faut dire que Clara Schumann n’avait pas toujours le jugement clairvoyant sur les œuvres qu’elle entendait. Ainsi, elle décréta que le Tristan et Isolde de Wagner était l’œuvre la plus antipathique qu’elle ait jamais entendu, que c’était ce qui lui était arrivé de plus triste dans sa vie d’artiste! Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, qu’elle soit passé à côté d’une œuvre incontournable bien qu’effectivement étrange, de son mari. Mais une nouvelle question me taraude: avait-elle pris toute la mesure du sens des œuvres de Robert? On ne peut concevoir qu’avec peine sa bonne compréhension d’œuvres comme les Amours du poète, le Carnaval, les Amours et Vie d’une femme, les deux dernières symphonies ou le Concerto pour piano, sans parler du premier trio, du quintette et même des si « charmantes » Scènes d’enfants. Les psychologues et les psychiatres, souvent confrontés aux malades savent bien que les proches des dits malades ne sont pas toujours les mieux placés pour saisir avec toute l’objectivité nécessaire ce qui se passe dans le comportement de la personne atteinte. C’est sans doute ce qui se passa chez Clara, et puis, la maladie de Robert et toutes ses conséquences tant artistiques que quotidiennes sur la vie de la famille étaient sans doute trop difficiles pour elle. Comment l’en blâmer?