Retour d’Orient

Retour à la musique cet après-midi avec les deux concerts que proposait l’Orchestre philharmonique royal de Liège dirigé par son directeur musical Christian Arming pour terminer son festival « Les Orientales », moment phare de la saison de l’orchestre.

Deux moments m’ont semblé particulièrement forts.  D’abord, la création d’une œuvre du compositeur belge Claude Ledoux, Crossing Edges, pour erhu, un instrument chinois traditionnel à cordes frottées.

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L’œuvre laisse miroiter superbement les mélodies de l’instrument soliste dans les sonorités du grand orchestre à la manière d’un grand mouvement de concerto. Inspiré par le jeu de Lu Yiwen, virtuose de l’instrument et par la peinture, Le Juste Milieu de Liu Shu-Tsin, l’œuvre se situe entre « abstraction et figuration » selon les mots de Claude Ledoux repris dans le programme de salle.

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Liu Shu Tsin, le Juste mileu

C’est exactement le sentiment ressenti. Séduction de la première écoute assurée, mais besoin de réentendre l’œuvre pour l’assimiler dans sa forme et son émotion… il serait judicieux de fixer cette pièce, vraiment très originale, sur un support d’écoute.

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Lu Yiwen

Ensuite, ce qui était manifestement l’un des événements phares du Festival, la création belge du Concerto pour deux pianos, Gezi Park 1 du pianiste et compositeur turc, Fazil Say. L’œuvre est profondément tragique et évoque les terribles événements qui se sont déroulés les 30 et 31 mai dans le Parc Gezi de la Place Taksim d’Istanbul. L’œuvre est interprétée par les deux pianistes jumelles, les sœurs Ferhan et Ferzan Önder qui, manifestement s’investissent entièrement dans ce propos tragique. Fazis Say y allie les sonorités et les gammes turques avec des couleurs orchestrales qui rappellent les symphonies de guerre de Chostakovitch. L’émotion est à son comble lorsque, après les terribles déflagrations, les deux pianos restent seuls dans le désespoir total. Ils entament une sorte de berceuse bouleversante qui termine le concerto dans l’émotion la plus profonde… chant d’espoir affirme le compositeur, hommage aux victimes et à toutes les injustices.

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Le parc Gezi (en turc, Gezi signifie « promenade ») est un parc urbain d’Istanbul situé dans le quartier de Taksim. Sa suppression est envisagée par le projet de piétonnisation de la place Taksim et engendre un mouvement protestataire.(Wikipédia)

L’œuvre prend d’autant plus de sens en ces temps où l’Ukraine vient de vivre ces derniers jours une terrible et historique tragédie. L’espoir est de mise, certes, mais à quel prix. Tout cela me laisse l’impression, une fois de plus renouvelée, que la musique dépasse le fait historique pour s’élever haut, très haut dans l’expression sublime et fondamentale de toutes les émotions humaines. Car évoquer l’Orient aujourd’hui, c’est aussi ouvrir les yeux et les émotions sur tous ces « Printemps » tragiques. Là aussi, on voudrait réentendre l’œuvre quelques fois pour la faire sienne et la comprendre dans ses tréfonds. Elle laisse d’emblée une impression bouleversante et, comme me le disait Jean-Pierre Rousseau qui l’entendait pour la troisième fois, on gagne à la réécouter car on y découvre toujours quelque chose de nouveau.

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Ferhan et Ferzan Önder, les sœurs jumelles pianistes.

Au-delà de ces émotions, et d’autres, plus classiques, comme le Concerto de Brahms interprété par Boris Belkin où le ballet de Paul Dukas, La Péri, c’est l’ambiance du festival, l’échange, le partage des émotions entre les concerts qui créent aussi la joie de la musique. Pour ce que j’ai pu en entendre, ces « Orientales » renouaient avec les grands festivals (Mozart, Beethoven, Piano roi, Symbolisme,…) de l’OPRL. On en redemande!