Ars nova

J’évoquais, cet après-midi, lors d’un cours spécial consacré à l’usage de l’Et incarnatus est dans le Credo de la messe et dans l’Histoire de la musique, la figure emblématique de Guillaume de Machaut. C’était l’occasion de revenir sur les techniques musicales et profondément expressives dans la polyphonie de l’Ars nova et de l’exprimer par ce chef-d’oeuvre intemporel qu’est la Messe de Notre-Dame.

 

 Et incarnatus est à partir de 2’08… Observez l’expression contemplative et tendre sur les mots « Ex Maria Virgine« !

 

Au-delà d’une profonde métamorphose des procédés artistiques, l’Ars nova du XIVème siècle  constituait un véritable renouveau des valeurs de l’existence, remettant en cause une bonne part des grands principes moraux, spirituels et politiques du Moyen-âge. Symbole d’une jeunesse en quête d’individualité, de justice et d’avenir, l’Ars nova est réprimé par la papauté comme un art décadent. Jean XXII condamne les nouvelles théories. Pourtant rien n’arrête la marche du temps et la civilisation occidentale prend, doucement, le chemin qui mène à la Renaissance.

 

 

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Miniature du XIVème siècle : Nature offre à Guillaume de Machaut trois enfants : Sens, Rhétorique et Musique.

La musique de l’Ars nova est dominée par la personnalité du Champenois Guillaume de Machaut (vers 1300-1377). Comme Monteverdi, Bach et quelques autres, de Machaut est un génie charnière qui accumule toutes les connaissances du passé et annonce l’avenir. Très jeune, il reçut les ordres mineurs, étudia probablement la théologie à l’université de Paris et devint ainsi « magister ». Il devient en 1323 un des secrétaires de Jean de Luxembourg, roi de Bohême, qu’il accompagne dans ses expéditions en Moravie, en Silésie, en Pologne, en Lituanie et en Italie jusqu’en 1340. il semble qu’il s’installe ensuite à Reims en qualité de chanoine, ce qui ne l’empêche nullement de se mettre au service de Bonne de Luxembourg, la fille de son ancien patron, puis du roi de Navarre, Charles le Mauvais et enfin du roi de France Charles V et Jean de Berry, tous deux fils de Bonne de Luxembourg.

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Portrait supposé de G. de Machaut, Manuscrit du XIVème siècle conservé à la BNF

 

À Reims, il se consacre à la poésie et à la musique. Il compose une œuvre considérable et très moderne. L’une des œuvres les plus connues de Guillaume de Machaut est la fameuse Messe de notre Dame (entre 1360 et 1365), premier exemple qui nous soit parvenu d’une messe entièrement composée à quatre voix et œuvre d’un compositeur unique. On a longtemps cru que cette messe avait été composée pour le sacre de Charles V à Reims en 1364. Cette hypothèse, réfutée aujourd’hui pour des raisons historiques et musicologiques, n’a pas retiré le prestige de cette œuvre extraordinaire qui utilise toutes les ressources de l’Ars nova.

 

 

 

Dans les motets latins, les virelais et surtout dans les ballades, il montre son expérience des anciens styles, de celui des troubadours et des trouvères dont l’esprit chevaleresque et courtois reste d’actualité. Mais dans les rondeaux, les motets en français et la messe, on découvre un talent exceptionnel à repousser les limites de l’Ars nova. Œuvre emblématique de cette activité d’avant-garde, le rondeau à trois voix, Ma fin est mon commencement, démontre avec une exceptionnelle aisance ses capacité à traiter la polyphonie et le contrepoint rétrograde.

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On remarquera que la voix supérieure est exactement le mouvement rétrograde du ténor, c’est-à-dire que sa lecture à reculons en commençant par la dernière note et en finissant par la première. De plus, les deux moitiés du contraténor sont rigoureusement symétriques par rapport à la double barre centrale. Cette voix inférieure est donc identique à son propre mouvement rétrograde. Pourtant de telles spéculations théoriques » ne sont pas perçues à l’audition. Les trois voix semblent se mouvoir assez librement. Les syncopes ajoutent à cette musique une souplesse inouïe typique des règles nouvelles de l’Ars nova.

 

On le voit, une part des ces exploits techniques et ces recherches de variété et d’originalité, souvent plus visibles qu’auditives annoncent clairement les subtilités que les musiciens du XVème siècle. Cette forme de polyphonie très sophistiquée restera assez ésotérique cependant et un auditoire normal aura de la peine à en apprécier toutes les beautés.