La Salle 11 de l’U3A était comble pour écouter Darina Vasileva et Peter Petrov au premier concert de la saison. Un succès de foule qui laissait présager le meilleur pour la soirée musicale. Et les auditeurs n’ont pas été déçus, acclamant nos musiciens comme rarement lors de nos concerts, ils ont été séduits par ce couple à la scène comme à la ville, qui n’a pas lésiné sur les moyens pour nous offrir le meilleur d’eux-mêmes.
Toutes les photos sont d’Armand Mafit
Le programme, constitué de la géniale Fantaisie pour piano à quatre mains en fa mineur D. 940 de Franz Schubert, des Six pièces op. 11 de Serge Rachmaninov et de quatre Danses hongroises de Johannes Brahms, les plus connues, a permis l’éclosion des émotions les plus diverses. Celles de Schubert, parfaitement romantiques, remplies de l’errance du Wanderer. Imprégnée de sa tragique existence, la Fantaisie déploie toute sa tendresse et nous bouleverse dans sa proximité avec notre âme. Les brèves, mais terribles révoltes schubertiennes ont quelque chose de symphonique. Puissantes et vaines, à la fois… au point que chaque fois, le thème de l’errance, simple, tendre, tellement émouvant, ne peut que reprendre. Toujours, Schubert poursuit la route. Tant qu’on vit, on marche, on n’a pas le choix. On cherche, on sent la nature environnante, puis on se souvient.
L’extraordinaire scherzo est de ceux qui distillent le souvenir. L’émotion du passé, d’un temps jadis à jamais révolu. Celui du bonheur, de l’innocence, rappelé dans le trio par des sonorités cristallines inoubliables. Enfin le revenu à la réalité, il se remet en marche et explore avec l’extraordinaire énergie du désespoir, les registres de la fugue si rares. Énergique, elle condense toutes les forces d’un homme qui n’a plus que quelques mois à vivre jusqu’au moment où épuisée, elle rend les armes et force le marcheur à encore une fois, une dernière peut-être, reprendre la route. Blafard, plus errant encore jusqu’à l’éprouvante fin qui scande, tel un fatum, des accords sombres entrecoupés par une terrible dissonance. Mourir à trente et un ans, mourir, tout simplement, s’avouer la finitude… la Fantaisie nous parle de Schubert, certes, mais aussi de nous-mêmes. Son propos est tellement vrai quand il est transmis par des artistes tels que Darina et Peter, qu’on reste hagard lorsque le dernier accord résonne et s’éteint vers le silence… lourd et ému avant le tonnerre d’applaudissements survenant comme un exutoire aux sublimes et tragiques émotions.
Rachmaninov, ensuite… un autre monde ! Même si la mélancolie est là aussi présente à tout moment. Six pièces, six caractères. La musique du grand pianiste russe vient du cœur et va droit au cœur. Sa devise est liée à une vérité émotionnelle très attachante, même si certains font encore parfois, bêtement, la fine bouche devant cette géniale musique. Laissons le compositeur nous parler lui-même de sa vision de la musique, lui qui disait, en 1932 : « Qu’est-ce que la musique ? Comment la définir ? La musique est une calme nuit au clair de lune, un bruissement de feuillage en été. La musique est un lointain carillon au crépuscule ! La musique vient droit du cœur et ne parle qu’au cœur ; elle est Amour ! La sœur de la musique est la poésie, et sa mère est… le chagrin ! » … superbe synthèse de sa pensée et dénominateur commun entre toutes ses œuvres.
Le tempérament slave de nos deux musiciens et leur formidable complicité répond parfaitement à l’esprit de Rachmaninov et chaque pièce est remplie de ce chagrin qui transparaît dans les mouvements lents, dans la magnifique valse et même dans le Thème russe repli de nostalgie slave. Le Scherzo, parfois proche des féeries fantastiques romantiques m’a toujours fait penser au Songe d’une nuit d’été de Félix Mendelssohn. Fantasque, fuyant comme des sortilèges d’elfes dans la forêt… mais cette dernière remarque est très personnelle. Le final, Glory, grandiose, qui reprend le thème du couronnement dans Boris Godounov de Moussorgski est symphonique et fait sonner magistralement notre piano, heureux de pouvoir montrer sa grandeur orchestrale.
Bouquet final, les quelques Danses hongroises, si célèbres, sont interprétées magistralement. Avec force, nuance, cohésion exceptionnelle et humour, si proches, finalement, de la musique populaire… le public n’y tient plus et applaudit même entre les danses. Une fois la dernière note évanouie, le public bat des mains et des pieds, crie sa joie d’une heure de musique vraiment exceptionnelle. Un bis, la redite du « Scherzo des elfes » de Rachmaninov clôt cette soirée qui manifestement, annonce une saison vraiment exceptionnelle. Merci! Merci!