À Düsseldorf…

Durant les vacances ou les jours de congés, j’aime bien me rendre de temps en temps dans la belle grande ville de Düsseldorf pour y trouver pas mal de cd’s et de partitions difficiles à se procurer chez nous… Et comme j’aime bien fouiner, cela change un peu de l’achat raisonné qu’on pratique par nécessite sur le Web…

2016-07-26 15.17.45 HDR.jpg

Médaillon représentant Clara et Robert apposé sur la maison qu’ils ont habité à Düsseldorf.

 

044.JPG

La maison où vivaient la famille Schumann

 

2016-07-26 15.18.12 HDR.jpg

La cour intérieure de la maison de la famille Schumann à Düsseldorf.

023.JPG

La Maison de H. Heine dans la vieille ville.

022.JPG

 

C’est dans la ville de Heinrich Heine que Robert Schumann a passé les dernières années d’activité de sa vie avec Clara et sa famille avant de se jeter dans le Rhin et de demander à être interné dans la clinique du Docteur Richartz à Endenich près de Bonn où il finira ses jours en feuilletant des atlas géographiques pour y chercher le Pays des enfants… l’occasion pour moi de revenir sur une oeuvre de Schumann encore peu jouée aujourd’hui et pourtant indispensable si l’on désire mesurer l’intensité « romantique » de sa personnalité.

Endenich, Bonn, Asile où Schumann est mort 7.JPG

Endenich, près de Bonn, Asile où Schumann est mort

 

Tombe de Robert Schumann à Bonn.jpg

Tombe de Robert Schumann à Bonn 

Schumann avait écrit son concerto pour violon à Düsseldorf entre le 11 septembre et le 3 octobre de l’année 1853. Il avait déjà composé une Fantaisie pour violon et orchestre (op.131) destinée à ce jeune violoniste Joseph Joachim qu’il avait entendu au Conservatoire de Leipzig fondé par son ami Mendelssohn. Le jeune homme lui avait alors demandé une oeuvre de grande envergure et le compositeur avait obtempéré de bon cœur. Il était donc tout à fait naturel que Schumann ressente que l’esprit de Mendelssohn soufflait sur lui dans le cadre de cette entreprise. Dans une lettre datée du 13 octobre, il écrivit à Joachim: « Voici le concerto. Puisse-t-il vous plaire. Il me paraît plus aisé que la Fantaisie; l’orchestre intervient également davantage. Je serais heureux si nous pouvions l’entendre ici lors du premier concert ». Mais on le sait, le concerto ne fut joué ni à Düsseldorf ni ailleurs. 

« Le nom de Joachim apparaît dans presque toutes les pages du journal de Robert Schumann à l’été 1853. Joachim n’intervient pourtant pas dans la composition du concerto, le premier d’une longue série qui lui seront dédicacés. […] Toujours est-il que Joachim, dérouté par ce concerto difficile et ingrat pour l’exécutant, ne créera jamais le concerto, et, à la mort de son auteur, renonce à le publier, avec l’assentiment de Brahms et de la femme du défunt, Clara Schumann.

Retiré dès lors du catalogue des œuvres du compositeur, le concerto, dont l’autographe a été offert par Clara Schumann à Joseph Joachim, est légué par le fils du violoniste, à la bibliothèque de l’État prussien, à Berlin, avec l’interdiction de le publier avant le centenaire de la mort du compositeur en 1956. La petite nièce de Joachim, Jelly d’Arányi, une violoniste de talent, prétendit en 1933 avoir communiqué dans des séances de spiritisme avec Schumann et Joachim, qui lui enjoignirent de créer le concerto, ce qui fut prévu à l’automne 1937.

Toutefois, la hiérarchie nazie prit l’affaire en main, refusant que le concerto soit créé par la juive et anglaise Jelly d’Arányi et encore moins par un autre violoniste d’alors, le tout jeune Yehudi Menuhin. Ce fut donc un violoniste « aryen », Georg Kulenkampff qui, le 19 octobre 1933 créa le concerto, revisité anonymement par Hindemith, alors que d’Arányi le donnait le lendemain, et Menuhin le 14 novembre, aux États-Unis, avec accompagnement de piano. L’arrogance de Kulenkampff est restée célèbre par la lettre qu’il écrira à Carl Flesch :

« J’ai adapté la partie de violon, comme l’avait fait Hindemith. (…) À mon avis, l’original est, non adapté, tout simplement injouable ! Heureux aurait été Schumann que les modifications, qu’il avait vainement demandées à Joachim, aient été faites ! »

Toutefois, l’histoire retiendra surtout que c’est Menuhin qui enregistra la première version intégrale fidèle au masnuscrit. Celle de Kulenkampff, acclamée par la critique et la propagande nazie, créée en présence de Joseph Goebbels, mais revisitée par le violoniste et sans les tuttis, est plus ou moins tombée dans l’oubli en dépit de la qualité du soliste. » (Wikipédia)

 

Schumann, Concerto violon, mvt 1, entrée du violon.PNG
Concerto pour violon, Mouvement 1, entrée du soliste 

De forme traditionnelle beethovénienne, , le concerto est en trois mouvements dont les deux derniers sont enchaînés. Formant ainsi deux blocs de presque un quart d’heure chacun réunis par un thème principal et cyclique. Le premier mouvement débute de manière tragique dans la tonalité de ré mineur, celle des requiems, celle du Don Giovanni de Mozart également. L’ambiance de la Troisième Symphonie « Rhénane » et le poids du destin tellement cher au compositeur ne sont pas loin. La seconde idée, plus élégiaque introduit brièvement un peu de calme. C’est elle qui esquisse pour la première fois le thème générateur et cyclique. L’entrée du violon se fait avec la véhémence du désespoir. Il évolue d’abord à la manière d’une sonate de Bach, rappelant la musique baroque. Langage chargé d’une angoisse extrême, on peut découvrir dans le déroulement du mouvement les tournures typiques de Schumann. Le monde du lied n’est pas loin. De nombreuses allusions en témoignent tout le long du flux musical incessant. Je n’emploie pas le mot « flux » par hasard. Quand on connait l’attrait pour le fleuve, pour le « Vater Rhein » si souvent évoqué dans l’oeuvre de Schumann, on comprend que le courant de l’eau représente pour lui aussi bien la fuite d’une réalité insupportable que le but du romantique allemand, se fondre avec la Nature dont le père suprême est le Rhin. Le geste désespéré de la tentative de suicide en sautant dans le fleuve du pont de Düsseldorf en témoigne. C’est toute cette détresse là que la musique transmet. 

 

 

 

 

 

Le mouvement lent central, dans la tonalité de si bémol majeur est beaucoup plus serein. Il déploie toute la magie romantique de ses mélodies et de ses rythmes superposés (polyrythmie). On y ressent toute la ferveur de la prière. Le chant du violon accompagné d’un superbe contrepoint des altos et des violoncelles est d’une profonde expressivité.

 

Schumann, Concerto violon, mvt 2, Motifs cycliques.PNG
Concerto pour violon, Mouvement 2, Motifs cycliques

 

Comment, dans les méandres de ce chant, dans cette mélodie qui divague en cherchant des points d’appuis, en répétant inlassablement les mêmes formules (les fameux signes de la maladie!) ne pas se laisser submerger par les larmes et comprendre, un tant soit peu, les douleurs et les prières de cet homme? C’est le thème cyclique, chaque fois varié. Toute la forme tripartite (A-B-A) est générée par ce thème unique. Profondément assombri dans sa reprise en sol mineur, il s’anime quelque peu et s’enfonce dans le final retrouvant par là même la tonalité de ré mineur. 

 

 

Le final fut composé en trois jours. C’est à cette époque exacte (le 1er octobre) également que le jeune Brahms rencontra Schumann pour la première fois. Une amitié célèbre et sincère allait naître de cette rencontre. Vif, mais pas rapide (Lebhaft, doch nicht schnell). Voilà bien le tempo préconisé par Schumann pour le final et que de nombreux violonistes ont accéléré outrancièrement pour mettre en valeur leur virtuosité. Pris dans un tempo rapide, comme celui que choisit Kulenkampff, il devient quasi impossible à jouer par le violon, d’où les simplifications apportées par Paul Hindemith. Le motif générateur se présente cette fois sur un rythme de polonaise. 

Schumann, Concerto violon, mvt 3, Rythme de polonaise.PNG
Concerto pour violon, Mouvement 3, Polonaise 

Il s’intègre à une phrase de grande ampleur qui servira de refrain à la forme rondo. Après le tutti orchestral il est suivi de deux thèmes secondaires. Le premier a l’air d’une petite marche sautillante jouée par les bois, le second, plus mélodieux, est confié au violon solo. Le mouvement comporte les « longueurs » typiques que les commentateurs reprochent toujours à Schumann. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette musique, certes un peu maniaque dans ses répétitions, reflète l’état d’esprit de celui qui, conscient de son état, vit encore malgré tout.

  

 « Demain, il sera trop tard » note Brigitte François-Sappey dans son indispensable ouvrage sur Schumann (Fayard). Elle a raison. L’homme qui compose encore, celui qui livre ici, comme dans les Chants de l’Aube pour piano, ses dernières perception de l’homme face au monde impitoyable n’est pas un héros. Schumann ne travaillait pas pour la postérité. Il œuvrait avec la nécessité de transmettre tout son être, de faire comprendre à ses semblables ce qu’il était, ce qu’il aimait, ce qui lui faisait peur également. C’est en ce sens que sa musique reste une leçon de vie pour tout qui veut bien l’écouter. Le poème nocturne d’Hölderlin qu’André Boucourechliev inscrit à la dernière page de son livre sur Schumann (Seuil, collection Solfèges, p. 170) est on ne peut plus approprié aux dernières œuvres du maître de Düsseldorf: 

« Que l’on me tende,

Pleine de sombre lumière,

La coupe parfumée pour que j’aie le repos

Car le sommeil serait doux sous les ombres

Dépossédé de son âme

Il est vain de n’être plus que pensées mortelles »