Intimité, Rêves et Émotions…

Me revoici enfin ! Après deux semaines d’absence sur le blog, j’ai pris pas mal de retard pour vous faire part des émotions musicales de ces dernières semaines. C’est la faute à un agenda extrêmement chargé qui ne m’a pas laissé le temps de rédiger quelques billets. Si les prochaines semaines s’annoncent encore très chargées, j’espère néanmoins avoir un peu de temps pour revenir plus fréquemment ici. Et, même si plus d’une semaine et demi plus tard, on a l’impression que c’est un peu tardif, une actualité poussant l’autre, je me fais une joie de commencer par évoquer la superbe prestation de nos deux musiciennes lors du dernier concert à l’U3A, Delphine Antoine (flûte) et Anaëlle Ziadi (harpe). Et je tiens à m’excuser auprès d’elles pour ce retard qui est d’autant plus regrettable que leur concert a été vraiment superbe.

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Toutes les photographie sont d’ A. Mafit… mille mercis!

Dans le billet qui annonçait leur récital, j’avais mis en évidence le programme intimiste qu’elles avaient choisi et qui correspondait parfaitement à l’esprit que nous voulions donner à cette soirée. Après les grandes envolées pianistiques romantiques et virtuoses de l’exceptionnel Luu Duc Anh dans F. Liszt en octobre, je voulais quelque chose de vraiment différent qui montre que la musique peut revêtir mille habits et mille émotions. Les Concerts de l’U3A n’ont pas d’autre but que de mettre en évidence la multiplicité des répertoires et des artistes. On n’a pas été déçu, la combinaison de la flûte et de la harpe offrant l’opportunité d’entrer dans un monde onirique, calme et subtil. Nos deux musiciennes savent y faire. Virtuoses l’une et l’autre, elles s’allient dans les pièces en duo pour créer un véritable univers sonore d’une poésie remarquable.

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En débutant par le superbe Après un rêve de G. Fauré, Delphine et Anaëlle donnaient le ton de la soirée. La mélodie de Fauré, écrite à l’origine pour voix et piano a supporté un nombre important d’arrangements lui conférant l’aspect d’une Romance sans paroles. Mais si nous lisons le poème de Romain Bussine qui est à l’origine de la pièce, on comprend d’emblée l’appel que nous lancent les musiciennes… un voyage au cœur des rêves, du sommeil et d’un monde sensuel.

Dans un sommeil que charmait ton image
Je rêvais le bonheur, ardent mirage,
Tes yeux étaient plus doux, ta voix pure et sonore,
Tu rayonnais comme un ciel éclairé par l’aurore;

Tu m’appelais et je quittais la terre
Pour m’enfuir avec toi vers la lumière,
Les cieux pour nous entr’ouvraient leurs nues,
Splendeurs inconnues, lueurs divines entrevues,

Hélas! Hélas! triste réveil des songes
Je t’appelle, ô nuit, rends-moi tes mensonges,
Reviens, reviens radieuse,
Reviens ô nuit mystérieuse!

Venait donc ensuite, sur les rives de la Meuse, Le Cygne du Carnaval des Animaux de C. Saint-Saëns. On connaît la symbolique de l’animal qui s’apparente à l’amour et à la fidélité. On pense au cygne de Lohengrin de R. Wagner, on pense également à l’animal dédié à Apollon et qui, riche de cette imagerie, déploie son plus beau chant lorsqu’il va mourir. Le cygne, lorsqu’il est noir, revêt également une image plus funeste, celle de la mort, comme chez Sibelius et Tchaïkovski. La pièce de Saint-Saëns est la seule du cycle du Carnaval qu’il n’a pas censurée. Le violoncelle originel y déploie toute sa tendresse et Delphine parvient, avec un instrument fort différent pourtant, à conserver le lyrisme, cette part de chant triste et mélancolique, soutenue par une harpe très poétique.

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Le Menuet de L’Arlésienne de Bizet nous conduisait ensuite vers une musique différente, plus enjouée, plus vive. Extraite de la musique de scène pour L’Arlésienne d’Alphonse Daudet, la musique de Bizet avait été arrangée en deux suites d’orchestre suite au fiasco de la pièce de théâtre. C’est ainsi que ces musiques parvinrent jusqu’à nous et suscitent toujours un grand enthousiasme chez les auditeurs des concerts d’orchestre. L’arrangement pour flûte et harpe adoucit sans doute un peu la version orchestrale, mais ne manque pas de charme.

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Anaëlle nous faisait alors entendre les formidables ruissellements de La Source d’Alphonse Hasselmans, une pièce de virtuose écrite par l’un des plus prestigieux professeurs d’origine belge du Conservatoire de Paris, contemporain de C. Saint-Saëns. Quelle maîtrise des techniques d’arpèges et de timbres de l’instrument. Moment poétique vraiment hors du commun, Anaëlle Ziadi nous entraine dans son monde merveilleux de la source idéale, celle du rêve… celle des anges.

La Sicilienne et Theresa von Paradis et surtout l’Entracte de Jacques Ibert réunissait à nouveau nos deux musiciennes. Ce dernier, daté de 1935 est prévu pour flûte (ou violon) et harpe (ou guitare) est d’inspiration très espagnole. La harpe doit y réaliser des rasgueados, une technique bien connue des guitaristes et les couleurs de la flûte, sensuelles et riches, flirtent avec les inflexions andalouses. Superbe association des timbres des deux instruments, la pièce, très populaire nous entraîne bien loin dans les rêves hispaniques embuées par un orient rêvé. L’image de Shéhérazade et de ses récits des Mille et Une Nuits n’est pas loin.

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Puis, c’est Syrinx de Claude Debussy qui nous envoûte par la flûte solo de Delphine Antoine. L’évocation de la flûte de Pan, dont le nom ancien est Syrinx, aurait dû s’intégrer à une plus vaste musique de scène pour une pièce de Gabriel Mourey, l’un des traducteurs français d’Edgard Allan Poe. Mais le compositeur français, retenu par d’autres obligations, ne fournira finalement que cette pièce de trois minutes qui, dans la première scène de l’acte 3 de Psyché, accompagne le dialogue de deux nymphes qui discutent de la beauté de la musique du dieu Pan. Musique divine, donc, dont Delphine tire une excellente opportunité de nous montrer avec finesse l’extraordinaire pouvoir de la musique.

C’est ensuite vers l’Orient asiatique imaginaire que nous sommes transportés avec la Danse lente de Joseph Jongen pour flûte et harpe datée de 1924. La sensualité de la mélodie, l’accompagnement généreux de la harpe. La flûte en bois de Delphine Antoine permet un magnifique velouté à ces mélodies et les grandes envolées vers l’aigu de l’instrument ne sont jamais criardes. Toujours subtiles, les inflexions du chant s’accompagnent des riches harmonies si chères à la couleur de la musique de Jongen.

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Deborah Henson-Conant est une harpiste américaine née en 1953. Anaëlle nous proposait sa pièce The Nightingale, une pièce proche du style cross-over, alliant une base technique classique à une musique d’esprit populaire inspirée du folk et de la chanson. Un accompagnement obstiné et doux supporte une superbe mélodie douce. Chaque couplet offre une belle illustration du jeu de la harpe et Anaëlle laisse chanter librement son instrument dans la douceur de cette musique.

Nos deux musiciennes se réunissent une dernière fois pour nous interpréter La Reine de cœur, arrangement d’une mélodie de Francis Poulenc tirée du cycle de sept mélodies pour voix et piano La Courte Paille et, pour finir, le très poétique et génial Entracte de Carmen de Bizet écrit pour flûte et harpe pour évoquer les paysages de montagne où les brigands se sont rassemblés au début du troisième acte. C’est, dans l’opéra, un véritable havre de paix avant l’amplification mortifère de la jalousie de Don José et les auditeurs reconnaissent volontiers là l’une des pièces maîtresses du compositeur. Cette poésie à l’état pur, idéalement dosée, transporte le public au-delà du rêve. Mais c’est déjà la fin de ce merveilleux récital et Delphine et Anaëlle, acclamée par les auditeurs revenus sur terre, avec, comme dans le poème de Bussine dont je reproduis ci-dessous les derniers vers un goût de trop peu:

Hélas! Hélas! triste réveil des songes
Je t’appelle, ô nuit, rends-moi tes mensonges,
Reviens, reviens radieuse,
Reviens ô nuit mystérieuse!

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Qu’à cela ne tienne, elles nous offrent un petit moment de grâce supplémentaire en reprenant l’Entracte de J. Ibert.

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Enfin, les applaudissements s’estompent et les curieux se pressent devant le grand instrument que notre virtuose se fait un plaisir de montrer non sans une certaine fierté bien compréhensible. Et, la flûte en bois intrigue et les questions fusent concernant les raisons du choix du bois plutôt que du métal, des matières et de leurs propriétés… nos deux vedettes du jour doublent leur talent de virtuose par celui de pédagogue… ce qu’elles sont par ailleurs ! Une magnifique soirée. Bravo, on en redemande… ce sera déjà le mercredi 14 décembre prochain avec un superbe récital violon et piano donné par Daniel Bartos (violon) et Thomas Waelbroeck. Je vous en reparlerai bientôt !