« Chanter impromptu… »

 

Parmi les formes musicales que le romantisme déploie au cours du 19ème siècle, certaines sont le résultat direct de l’improvisation à la mode dans les salons et les réunions amicales. Je vous parlais i y a quelques jours de la grande forme, celle de la deuxième symphonie, puissante, massive et longue de F. Mendelssohn. Mais le compositeur s’inscrit également dans une autre optique, celle de la petite forme… Romance sans parole… et pièces impromptues! Il m’est arrivé souvent, ces derniers mois, d’évoquer, lors de concerts commentés, de cours ou de conférences, cette manière musicale originale dont le règne assez bref, coïncide avec le développement inouï du piano. 

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L’impromptu, plus qu’un autre genre musical, est parfaitement adapté à l’esprit du romantisme qui, en réaction aux grandes formes comme la sonate (sonate pour instruments, quatuors ou symphonies), propose une alternative brève, poétique et dont les épanchements d’humeur sont perceptibles immédiatement. Le terme n’est d’ailleurs pas musical d’emblée. Il est introduit pour désigner, en histoire littéraire, une petite pièce poétique de circonstance, en principe non préparée, et une courte pièce de théâtre composée pour une occasion précise, pou traitant d’un sujet d’actualité. En 1663, Molière publie L’Impromptu de Versailles, une comédie en un acte et en prose souvent considérée comme du théâtre dans le théâtre dont le but est de défendre le métier d’acteur et de dramaturge. Même Jean-Jacques Rousseau fera usage du mot impromptu en utilisant la locution adverbiale littéraire et très rare: chanter impromptu (de manière improvisée). L’auteur français l’intègre, dans son Dictionnaire de Musique en 1768 à l’article concernant le verbe improviser: « C’est faire et chanter impromptu des chansons, airs et paroles, qu’on accompagne communément à la guitare ou autre pareil instrument. Il n’y a rien de plus commun, en Italie, que de voir deux masques se rencontrer, se défier, s’attaquer, se riposter ainsi par des couplets sur le même air, avec une vivacité de dialogue, de chant, d’accompagnement, dont il faut avoir été témoin pour la comprendre. »

 

 

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Pietro Longhi (1702-1785)

Le mot n’apparaît en musique que vers la fin du 18ème siècle en allemand… réutilisant tel quel le mot français!

 

 

Dans cet esprit, c’est évidemment Franz Schubert (1797-1828) qui nous vient à l’esprit. Les fameuses schubertiades, ces réunions d’amis au cours desquelles on pratiquait le lied, la poésie et l’improvisation pianistique, sont à l’origine de ces instantanés regroupés aujourd’hui, pour les besoins de l’édition en deux groupes de quatre pièces. Composées à la toute fin de sa courte vie, en 1827, les premières sont publiées alors que le compositeur est encore en vie sous le numéro d’opus 90, tandis que les quatre autres ne le seront qu’après sa mort comme opus posthume 142.

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 Julius Schmid Schubertiade (1897)

 

L’ensemble des impromptus est souvent rapproché des Six moments musicaux et sont aujourd’hui très souvent publiés ensemble. Il est probable que Schubert ait été influencé par les Impromptus op.7 (1822) de son ami Jan Vaclav Hugo Vorisek (1790-1825), compositeur et organiste tchèque installé à Vienne… une musique proche de celle appréciée dans les salons. 

 

 

À l’audition, l’impromptu se signale donc par son côté immédiatement sensible, son caractère improvisé, suggéré d’ailleurs par l’étymologie de son nom. Du latin in promptu signifiant visible, fait et évident, il devient, par extension synonyme de sur-le-champ, sans avoir été préparé ou prémédité… ce qui est impromptu est donc inattendu ! On parle alors d’un bal, d’un dîner ou d’un concert impromptu. On dit même qu’on fait des impromptus lorsqu’on est imprévisible, spontané… improvisateur.

 

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On sait que l’improvisation faisait partie de l’art des compositeurs et des interprètes. On se souvient des improvisations des organistes, Bach en tête, puis de celle des musiciens de jazz dont l’improvisation joue un rôle essentiel dans leurs prestations. Liée au plaisir immédiat de la musique, l’improvisation dépend de l’état d’esprit du musicien, de sa capacité à intégrer des schémas préalable et de mettre en pratique les stratégies permettant la cohérence d’un propos musical impromptu. 

Le plus souvent, les impromptus adoptent des formes simples, tripartites A-B-A, comme l’impromptu op.90 n°2 de F. Schubert ci-dessous ou des variations sur un thème à l’image du célèbre op.142 n°3 bâti sur le thème de Rosamunde. Il va sans dire que l’improvisation originale, si elle le méritait, était retravaillée à tête reposée pour affiner et remettre en forme le matériau apparu spontanément. De plus, il est fort probable que les auteurs de ces moments de musique, avaient une idée préalable de la conduite de leur improvisation. Enlevons-nous donc de l’esprit que les impromptus ont jailli achevés de la tête des compositeurs.

 

 

Schubert n’a pas été le seul à composer des impromptus. Frédéric Chopin (1810-1849), également très actif dans les salons, en a composé quatre et une variante, ci-dessous, la célèbre Fantaisie-Impromptu, Robert Schumann (1810-1856) a usé d’un thème de sa chère Clara pour ses impromptus op.5. Quant à Franz Liszt (1811-1886), on se souviendra de son impromptu brillant, une pièce de jeunesse (1824). 

 

 

Les Impromptus pour piano op. 47 de Charles-Valentin Alkan (1813-1888), le plus grand virtuose représentant français de l’école romantique de piano, sont, à l’image de sa musique trop méconnue, superbes. 

 

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Quant à Gabriel Fauré (1845-1924), avec ses six Impromptus, il offre au genre une vision quasi symboliste et le projette dans le 20ème siècle où il disparaîtra rapidement. 

 

Bonnes écoutes… !