Bonheur à Quatre mains… !

La salle 11 était quasi comble pour la première soirée de la saison  des Concerts de l’U3A mercredi dernier ! Une grande source de soulagement et de joie pour l’organisateur amateur que je suis… d’autant que la circulation dans notre ville est pour le moins chaotique ces derniers temps et que d’autres concerts se donnaient à Liège au même moment !

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Toutes les photos sont de Jean Cadet.

Il faut dire que nous avions mis les petits plats dans les grands en recevant deux musiciennes exceptionnelles qui, à quatre mains, nous proposaient un superbe programme autour de la danse.

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Et il y en avait pour tous les goûts puisque nous voyagions entre les danses d’Europe centrale avec les hongroises de J. Brahms et les slaves de A. Dvořák, les suaves polovtsiennes d’Asie centrale de A. Borodine, les très poétiques brumes norvégiennes de E. Grieg, la chaleur andalouse de M. de Falla et la formidable sensualité du tango argentin de A. Piazzolla!

Trop de superlatifs seraient superflus pour décrire le véritable bonheur d’écouter Nadia Jradia et Émilie Chenoy qui, durant cette heure de musique, ont réussi à incarner tantôt avec sauvagerie, tantôt avec une grande subtilité, tantôt encore avec une juste sensualité, les divers mouvements de l’âme et du corps que suscitent les danses.

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Le grand organologue et ethnomusicologue, Curt Sachs (1881-1959), affirmait que « la danse est le premier-né des arts. La musique et la poésie s’écoulent dans le temps ; les arts plastiques et l’architecture modèlent l’espace. Mais la danse vit à la fois dans l’espace et dans le temps. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l’homme se sert de son propre corps pour organiser l’espace et pour rythmer le temps ».

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Du fond de la salle où j’étais installé, j’observais avec amusement et ravissement les têtes des mélomanes dodeliner, quelques troncs se balancer joyeusement et maintes jambes frappant doucement du pied sur les rythmes envoûtants qu’égrainaient nos deux pianistes. Donnant raison à Sachs, Émilie et Nadia offraient elles-mêmes une chorégraphie de leurs quatre mains rassemblées en une seule piste de danse que constituent les 88 touches du piano, occupant ainsi et le temps et l’espace que le public leur rendait avec une irrésistible envie de bouger.

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Nos deux musiciennes sont des artistes chevronnées et savent y faire pour nous entraîner dans leur voyage musical avec une profonde intensité. Souvent, les inflexions si mélancoliques de Brahms nous rapprochent plus d’une musique pure que de la danse et les mélodies séduisantes de Grieg soulèvent quelques fois de troublantes émotions. Elles semblent véhiculer ce que les allemands nomment Sehnsucht, cette étrange nostalgie d’un passé révolu et cependant tellement cher. C’est cette même mélancolie qu’on perçoit dans l’âme du tango de Piazzolla. D’autres, se suivent… plus vives et très chorégraphiques comme la superbe Skočná (danse populaire slave connue comme une danse de comédiens), op. 46 n°7, de Dvořák, plus sensuelles ensuite, quasi tragiques, comme la fameuse Danse espagnole de M. de Falla, nourrie d’un authentique et rude flamenco.

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Les danses, vous l’avez compris, contiennent la palette totale des émotions humaines où celles d’autrefois, en tant que souvenir ému de notre vie, côtoient celles à l’instinct le plus archétypal et dynamique de la vie. Ce n’est pas pour rien que Richard Wagner, évoquant la Septième Symphonie de L. Van Beethoven, parlait d’Apothéose de la Danse englobant, en son sein, la déclinaison totale des mouvements humains… entre vie et mort, à l’image aussi de la célèbre Valse triste pour orchestre de Jean Sibelius qui, à son tour, semble en canaliser l’essence.

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Il n’est en outre pas inutile de rappeler que le rythme est le moteur de la musique, son verbe comme l’affirmait le grand chef et compositeur Leonard Bernstein… et, comme pour confirmer cette idée, de se souvenir que la pulsation, elle-même engendrant le rythme, sont inhérents à la nature même dans l’alternance des jours et des nuits comme des saisons puis, chez les êtres vivants dans ses battements de cœur et sa respiration sans lesquels aucune vie n’est possible.

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Tout cela pour tenter de vous raconter que ce qu’ont fait sur notre petite scène, Nadia Jradia et Émilie Chenoy est de l’ordre du prodigieux… et mieux encore, de la Vie ! Elles ont ravivé chez leurs auditeurs la flamme qui régénère, qui donne envie de bouger, d’exister. C’était, en substance, les commentaires d’après concert des nombreux mélomanes présents qui se sentaient comme remplis d’une nouvelle énergie. C’est là aussi l’un des grands pouvoirs et miracles de la musique !

Merci de tout cœur à vous deux pour cette soirée de bonheur et bonne route à ce nouveau Quatre mains qui, j’en suis sûr, nous gratifiera encore de ses sortilèges.