Un jour… Un chef-d’œuvre (140)

Aussitôt pagodes et pagodines se mirent à chanter et à jouer des instruments.

Madame d’Aulnoy (1651-1705)

François Boucher (1703-1770), La Danse chinoise, esquisse pour la Tenture chinoise (1742).

 

Maurice Ravel (1875-1937), Ma mère l’oye, 5. Laideronnette, Impératrice des Pagodes, interprété par le Royal Concertgebouw Orchestra dirigé par Bernard Haitink.

« Elle se déshabilla et se mit dans le bain. Aussitôt pagodes et pagodines se mirent à chanter et à jouer des instruments : tels avaient des théorbes faits d’une coquille de noix, tels avaient des violes faites d’une coquille d’amande ; car il fallait bien proportionner les instruments à leur taille. » Madame d’Aulnoy (1651-1705), Serpentin Vert, Conte (extrait)

De tous côtés entrent des pagodes et des pagodines portant une lanterne. Petites mines, révérences. La danse s’interrompt. Tous tombent à genoux. Puis à plat ventre. Paraît Laideronnette, en chinoise de Boucher, un loup de velours masquant son visage, une tulipe à la main. Serpentin Vert vient ramper amoureusement à ses côtés. Pagodes et pagodines, assis en cercle, jambes croisées, dans l’attitude des magots de porcelaine, abaissent et relèvent en mesure leur tête, leur langue et leurs mains. Danse générale.

Ravel a donc une image très précise en tête : il souhaite mettre en scène une « chinoiserie ». Il imagine Laideronnette habillée comme une dame chinoise telle qu’on peut en voir dans les tableaux du peintre François Boucher (1703-1770).

Les pagodes et pagodines sont des petits personnages couverts d’or et de pierres précieuses. A l’origine ce sont des statuettes que l’on vient adorer dans les pagodes. Le magot est une figure grotesque de Chine ou du Japon, peinte, dessinée ou sculptée. Les dimensions de la tête de cette statuette sont considérablement exagérées. Ce personnage assis, grimaçant est représentée le ventre pansu débordant sur les jambes entrecroisées.

Pagodines

Magot chinois

Laideronnette est un personnage secondaire du conte le Serpentin Vert de Marie Catherine d’Aulnoy. Ce conte débute lorsqu’une reine ayant accouché récemment de jumelles, organise la cérémonie des dons pour ses nouveau-nés. Toutes les fées y sont conviées – elles sont au nombre de douze – afin de bénir les nourrissons, mais la cruelle fée Magotine n’ayant pas été invitée fait son apparition et se montre furieuse de ce manque d’attention. Elle décide donc de jeter une malédiction sur l’aînée des deux fillettes et la condamne ainsi à devenir la plus laide des personnes. Une fois adulte, pour ne pas incommoder les humains par sa laideur, elle se réfugie dans un royaume parallèle, celui où vit Serpentin Vert, un autre personnage victime d’un maléfice. Ce royaume est peuplé de pagodes.

Jeanne Bloch dans son article Le héros animal dans les contes de fées de Mme d’Aulnoy
(2010) explique :

« Serpentin Vert, conscient de l’effroi que son apparence reptilienne cause à Laideronnette, ne se montre pas lorsqu’il s’adresse à elle. Ainsi, il n’est, pour elle, qu’une voix, mais elle se laisse charmer. Une nuit, il lui révèle une partie de son secret : « La méchante Magotine qui vous a joué un si mauvais tour, est la même qui m’a condamné à une pénitence de sept ans.» Mais jamais il n’expliquera la raison de cette punition. Lorsqu’elle accepte de l’épouser, il lui apprend qu’elle ne devra pas essayer de le voir.

Laideronnette, curieuse et inquiète, ne tient pas parole. Elle s’évanouit de peur en le voyant, et Serpentin s’enfuit, condamné à recommencer entièrement sa pénitence de sept ans. La désobéissance de la princesse provoque, ou plutôt renouvelle la punition de Serpentin. »

Ghislain Abraham, Intervenant pédagogique à Orchestre National de Lille, Dossier pédagogique, 2019, pp. 25-26. (Dossier complet)

Laideronnette, impératrice des pagodes costume de Drésa pour Ma mère l’Oye, – Maurice Ravel 1912

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