Un jour… Un chef-d’œuvre (272)

Il écoute avec un chagrin inconsolable le soupir des bois.

Viktor Rydberg (1828-1895) 

Georg Janny (1864-1935), Nymphes sous une cascade dans la forêt, 1920 (détail).

Jean Sibelius (1865-1957), La Nymphe des Bois, Poème symphonique Op.15 d’après un poème de Viktor Rydberg, interprété par le Lahti Symphony Orchestra dirigé par Osmo Vänskä.

La Nymphe des Bois

Björn, il était un garçon beau et fort
avec des épaules puissantes et larges
et une taille plus mince que les autres hommes –
ce qui excite les vaines nymphes.
Il allait à une fête un soir d’automne,
quand la lune brillait sur les arbres et les rochers
et le vent soufflait
hou, hou
Sur les marais et la forêt,
à travers les bois et la lande ;
alors il y eut quelque chose de magique dans son esprit,
il regarde la forêt et n’a pas de paix,
il regarde la voûte du ciel,
mais les arbres font un signe et hochent la tête,
et les étoiles clignotent et regardent :
entre, entre, entre dans les bois enchanteurs !

Il avance, il obéit à l’ordre sombre,
il avance de son plein gré et malgré lui ;
mais les nains de la forêt dans leur robes noires,
ils vont avec ruse dans la bruyère
et nouent un filet de rayons de lune
et d’ombre de rameaux et de branches qui se balancent,
un filet oscillant
dans les broussailles et les ronces
derrière les pas du voyageur,
pendant qu’il avance,
et ils rient d’une voix si rauque du captif.
Dans leurs tanières le loup et le lynx se réveillent
mais Björn rêve de leur chant
qui résonne parmi les sapins
et murmure, attire et invite :
avance plus profond, plus profond dans les bois magiques !

Maintenant le vent gémissant fait soudain silence,
la nuit est douce comme en été,
et un parfum s’exhale des tilleuls en fleurs
à côté des eaux sombres de l’étang.
Dans l’ombre on entend un son :
là ondule une robe délicate et blanche comme la lune
là un bras fait un signe,
si délicat et rond,
là une poitrine se soulève,
là une bouche chuchote,
là deux yeux plongent dans les tiens
et jouent, si bleus, à une éternelle constance,
que tout souvenir s’évanouit :
ils t’invitent à t’assoupir et à oublier,
ils t’invitent à dormir et à rêver
dans la paix de l’amour, dans le bois qui chuchote, qui engourdit.

Mais le cœur qui a été volé par une nymphe des bois
n’est jamais rendu :
car son âme languit des rêves de lumière de la lune
et il ne peut aimer une femme.
De tels yeux bleus dans la forêt la nuit
ont déchiré son esprit par la torture et et l’ont labouré,
il ne peut pas sourire
et être joyeux comme avant,
et les années regardent
par sa porte
mais elles ne trouvent ni enfant ni fleur ;
son être vieillit dans un nid vide,
les sièges autour du feu sont vides,
et s’il attend quelque chose des années,
il attend seulement la mort et le cercueil,
il écoute avec un chagrin inconsolable le soupir des bois.

Viktor Rydberg (1828-1895) 

Georg Janny (1864-1935), Nymphes sous une cascade dans la forêt, 1920.