Les Flûtes enchantées…

Ce fut une soirée mémorable ! Les mélomanes présents dans notre salle 11 à l’U3A le 22 mars dernier en parlent encore et à juste titre ! Nous recevions deux musiciennes confirmées, Emanuelle Blessig à la flûte et au piccolo et Émilie Chenoy au piano. Elles nous proposaient un programme mêlant les célèbres Gabriel Fauré, Joseph Jongen et Piotr Ilitch Tchaïkovski avec de véritables découvertes comme les rares Marc Berthomieu, Ferenc Farkas ou Allan Stephenson.

Un tout grand merci à Jean Cadet pour son superbe reportage.

C’était donc un programme très varié qui déployait largement les diverses possibilités musicales et expressives de la flûte et des parties de piano extrêmement conséquentes et remarquablement virtuoses… de quoi affirmer, une fois de plus, que la musique de chambre ne consiste pas à faire accompagner un soliste par un piano, mais de faire fusionner plusieurs musiciens au sein d’idées musicales réparties entre les protagonistes.

Ce qui frappe d’emblée dans la Danse lente pour flûte et harpe ou piano de Joseph Jongen (1873-1953), dont on commémore cette année les 150 ans de la naissance et les 70 ans du décès, c’est la douce sensualité de la ligne mélodique de la flûte entourée des délicates sonorités du piano imitant les timbres angéliques de la harpe. Emanuelle et Émilie parviennent immédiatement à créer cette ambiance quasi impressionniste, une manière opportune de quitter le temps de la ville pour celui de la musique. Nous sommes sous le charme de cette pure poésie sonore.

J’avais, dans la préparation du concert, écouté la Suite romantique du compositeur, poète, auteur dramatique et réalisateur de film, Marc Berthomieu (1906-1991) avec beaucoup de curiosité, ne connaissant ni l’œuvre, ni l’artiste. Si la Suite ne révolutionne pas l’histoire de la musique, elle est cependant d’une grande beauté et d’un lyrisme envoûtant qui habite l’Allegro moderato initial avant de décliner les diverses formes de l’arc-en-ciel, entre un rondo sautillant aux saveurs presque enfantines, un Menuet grave teinté de mélancolie joliment modulantes et un Presto espiègle autant qu’insolent. Un vrai moment de bonheur musical superbement interprété et nuancé avec beaucoup de finesse par nos deux virtuoses.

Suivait la belle Fantaisie op. 79 de Gabriel Fauré (1845-1924). Fauré écrit à son ami Saint-Saëns en 1898: « J’ai composé le morceau de concours de flûte, andante cantabile et allegrofolichono, et je n’ai pas souvenir que rien au monde m’ait donné tant de peine ! » Le morceau est écrit pour le concours de flûte du Conservatoire de Paris où il est professeur de composition. La Fantaisie a pour but avoué de mettre à l’épreuve les qualités techniques et artistiques, d’où sa structure en deux parties contrastées. La difficulté de l’Andantino porte sur le souffle et la conduite du chant; Plus animé, l’Allegro (ou « allegrofolichono », ainsi que Fauré s’en amuse) éprouve la virtuosité du flûtiste (d’après Palazzetto Bru Zane). Le moins que l’on puisse en dire, c’est que Emanuelle aurait franchi cette épreuve haut la main… mais si cette pièce n’est pas destinée aux pianistes, elle n’en cache pas moins une partition complexe et brillante…

Ferenc Farkas (1905-2000), comme son nom l’indique, est un compositeur hongrois. Très prolifique, il nous laisse plus de 700 œuvres d’une grande diversité, son style est très curieux puisqu’il allie des éléments très néo-classiques, des influences populaires hongroises et quelques fois des moments d’atonalité ou de dodécaphonisme. Sa Sonatine pour flûte et piano obéit surtout aux deux premières caractéristiques ne quittant jamais la tonalité ou la modalité. L’andante moderato central touche même à une forme de romantisme très expressif. Quant au finale, il déploie mille sortilèges avec des notes répétées et très vives à la flûte tandis que le piano lui répond dans un contrepoint souvent subtil avant une rapide et joyeuse conclusion. Là encore, Emanuelle Blessig et Émilie Chenoy nous montrent leur virtuosité et surtout leur complicité. Formidable !

Mis à toutes les sauces, le fameux air du Duel, celui de Lenski, juste avant son duel fatal avec Eugène Onegin, Kuda, Kuda… est l’un des moments les plus bouleversants de l’œuvre de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1841-1893). On en connait les versions de Léopold Auer pour le violon, pour violoncelle et bien d’autres. La version pour flûte m’intriguait car dans mon esprit, les harmoniques du ténor ne s’adaptaient pas facilement à cet instrument. Je me trompais ! En effet, ce qui est formidable, dans la version pour flûte, c’est le souffle de la phrase, finalement assez proche de la vocalité. Les intonations impeccables et le phrasé sublime de notre flûtiste ont transporté la salle au bord des larmes et dans l’extase tragique du plus célèbre air d’opéra russe… Un moment d’exception !

C’est avec un compositeur que je ne connaissais pas non plus, c’était le jour des rencontres passionnantes, que le concert s’achevait… une nouvelle découverte, donc, mais surtout une œuvre pour le piccolo ! Allan Stephenson (1949-2021), compositeur sud-africain d’origine britannique, est auteur, en outre, d’un acte de la Trilogie Mandela, une œuvre collective en trois actes dédiée à la vie de Nelson Mandela. Le Concertino pour piccolo, cordes et clavecin date de 1979. Les parties de piccolo sont d’une haute voltige technique et explorent toutes les ressources de cet instrument méconnu, le plus aigu de l’orchestre symphonique. La partie de piano, extrêmement complexe puisqu’elle réduit l’orchestre réalisant une réflexion que je me fais souvent à propos des parties de piano qui réduisent les concertos, à savoir que la pianiste devient l’orchestre à elle seule.

Le premier mouvement, Allegro amabile, très vif contient une cadence de virtuosité ahurissante dont se sort sans encombre Emanuelle. On croit même y discerner le souvenir du Papageno de la Flûte enchantée. Le mouvement lent, Molto, est une véritable merveille d’émotion qui explore plutôt le registre grave du piccolo sur de superbes arpèges du piano qui rythme cette sorte de sublime élégie. Quant au final, une marche bien enlevée, il convient parfaitement à la fin du concert… tonnerre d’applaudissement amplement mérité.

Quelques notes de grande flûte achèvent ce récital exceptionnel dans l’enthousiasme général avec une le grand compositeur Ralph Vaughan Williams (1872-1958), Let Beauty awake, « Laisse la beauté s’éveiller« , l’arrangement d’une superbe mélodie d’amour… tout un programme! Les subtiles et riches sonorités d’Emanuelle Blessig et Émilie Chenoy nous accompagnent encore bien longtemps après que le silence ait repris possession de la Salle 11… Au nom de tous les mélomanes présents et qui n’ont pas osé ou eu l’occasion de vous le dire immédiatement ; merci pour cette heure de musique inoubliable !

Notre prochain concert approche à grands pas. Nous recevrons la jeune pianiste Zoé Masset… un extraordinaire talent à découvrir…!