Ce piano n’est pas si dur qu’on le prétend!
Le Feuilleton de la fin d’année… deuxième épisode
Gustave Caillebotte (1848–1894), Jeune homme au piano (piano Érard).
Frédéric Chopin (1810-1849), Nocturne en mi bémol majeur op. 9 n°2 interprété par Eugene Mursky sur un piano Érard de 1854.
DEUXIÈME ÉPISODE
M. Érard n’est pas maladroit, et s’il s’était dit : les trente et un élèves, à force de taper leur concerto, égayeront les touches de mon piano et ça ne peut lui faire que du bien. Oui, oui, mais il ne prévoyait pas, le pauvre homme, que son clavier serait égayé d’une si terrible manière. Au fait, un concerto exécuté trente et une fois de suite dans la même journée ! Qui pouvait calculer les suites d’une semblable répétition ? Le premier élève se présente donc, et, trouvant le piano un peu dur, n’y va pas de mains mortes pour tirer du son. Le second, idem. Au troisième, l’instrument ne résiste plus autant ; il résiste encore moins au cinquième. Je ne sais pas comment l’a trouvé le sixième ; il m’a fallu, au moment où il se présentait, aller chercher un flacon d’éther pour un de nos messieurs du jury, qui se trouvait mal. Le septième finissait quand je suis revenu, et je l’ ai entendu dire en rentrant dans la coulisse : « Ce piano n’est pas si dur qu’on le prétend ; je le trouve excellent, parfait sous tous les rapports, au contraire. » Les dix ou douze autres concurrents ont été du même avis ; les derniers assuraient même qu’au lieu de paraître trop dur au toucher, il était trop doux. (… à suivre dès demain)
Hector Berlioz, Les Soirées de l’orchestre, 1852.
Piano à queue ERARD 210 cm de 1850.