Un jour… Un chef-d’œuvre (222)

Il faut habiter poétiquement la terre.

Friedrich Hölderlin (1770-1843)

Jules Breton (1827-1906), Le Chant de l’alouette, 1884.

Franz Joseph Haydn (1732-1809), Quatuor à cordes en ré majeur Op. 64 n°5 « l’Alouette« , II. Adagio cantabile, interprété par le Quatuor Hagen.

Dans Le Banquet, Platon montre comment Éros, l’Amour, suit un mouvement dialectique qui, du sensible, s’élève vers l’intelligible: de l’amour physique, dont l’objet est la beauté des corps, en passant par l’amour moral, dont l’objet est la beauté de l’âme, jusqu’au dernier terme: la contemplation de la beauté absolue. Par la suite, au cours de l’histoire de l’Occident, ceux qui accordent la primauté à la beauté se réclament surtout de la pensée de celui qui affirme que « la beauté est lumière des Idées« , ou encore, que « la beauté est la splendeur du vrai« . […]

À l’âge classique, le beau était certainement à l’honneur; il était soumis à l’exigence du vrai.  « Rien n’est beau que le vrai« , a pu dire Boileau. Les Romantiques ont cherché à inverser cet ordre. Ils ont exprimé leur aspiration à la beauté, leur conviction que la vérité est liée à la beauté, pour ne pas dire que la vérité suprême n’est autre que la beauté. Écoutons d’abord Alfred de Musset:

Or la beauté, c’est tout. Platon l’a dit lui-même:
La beauté, sur la terre, est la chose suprême.
C’est pour nous la montrer qu’est faite la clarté.
Rien n’est beau que le vrai, dit un vers respecté;
Et moi, je lui réponds sans crainte d’un blasphème:
Rien n’est vrai que le beau; rien n’est vrai sans beauté.

Comme pour lui faire écho, voici les deux vers célèbres de John Keats, ce poète qui a dit que « la terre est une vallée où poussent les âmes »: 

Beauté, c’est vérité; et vérité beauté.
Tout ce qu’on sait sur terre; il faut qu’on le sache.

Du côté des Allemands, nous aurions pu citer Schiller ou Novalis. Mais retenons l’injonction de Hölderlin: « Il faut habiter poétiquement la terre. » Le poète voue une immense confiance au pouvoir du langage poétique. Il est convaincu que grâce à lui l’homme peut accomplir la tâche que la beauté lui assigne.

François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Paris, Albin Michel, Le Livre de Poche, 2008, pp.67-69.

Pál Szinyei Merse (1845-1920), Les Alouettes, 1882.