Le Duo Acanthia… est né !

C’était un concert découverte que nous proposaient, mercredi soir à l’U3A, Vanessa Baldacci et Maud Renier. Les récitals d’alto ne courent pas les rues, c’est vrai… et le répertoire de l’instrument est assez peu connu. Notre fidèle public n’avait pas reculé devant ces singularités et se pressait nombreux dans notre salle pour écouter nos deux superbes musiciennes qui allaient nous entrouvrir un monde profond et bouleversant.

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Toutes les photographies sont de Jean Cadet et merci à Fanny Massoz d’avoir brillamment tourné les pages de Maud Renier.

Je me prêtais au jeu d’un Monsieur Loyal pour, en quelques mots, tenter d’offrir l’une ou l’autre piste d’écoute des œuvres au programme et de brèves explications historiques comme stylistiques. Mais c’étaient bien Vanessa et Maud qui étaient les héroïnes de la soirée.

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Je ne reviens pas ici sur les propos que j’écrivais dans le dernier billet de présentation du concert. Vous pourrez le relire en suivant ce lien. Ce qui m’importe aujourd’hui est de remercier le talent de nos deux musiciennes, toutes les deux de véritables virtuoses de leur instrument, mais aussi d’une extraordinaire complicité… quand on sait que c’était la première fois qu’elles se produisaient ensembles en public, le moins que l’on puisse dire, c’est que cela promet ! Suite à cette formidable entente, elles ont d’ailleurs décidé de former un véritable duo qui, désormais, portera le doux nom de Duo Acanthia, tiré cette superbe plante vivace dont les fleurs sont superbes.

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« Dans la mythologie grecque, Acanthe (Akantha) était une nymphe. Apollon (dieu des Arts, de la Musique, de la poésie et de nombreux autres domaines…) voulut l’enlever et elle le griffa au visage. Pour se venger, il la métamorphosa en une plante épineuse qui aime le soleil (Apollon est aussi solaire), et qui porte depuis son nom. Dans le langage des fleurs, Acanthe signifie « Amour de l’art« … et « Rien ne pourra nous séparer« . » (d’après Wikipédia)

Johannes Simon Holtzbecher - Acanthus mollis, 1649.

Johannes Simon Holtzbecher – Acanthus mollis, 1649.

Au programme donc, ce superbe Intermezzo de Nino Rota, bouleversant, tantôt lointain souvenir du baroque, tantôt profondément romantique, et pourtant très moderne… une œuvre qui cache quelques difficultés stylistiques et expressives dont nos deux musiciennes se sont jouées avec une remarquable intensité. D’emblée, l’entente est parfaite. Beaux phrasés, superbes sonorités, lyrisme et tempétuosité de bon aloi… un superbe début !

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Le clou de la soirée était cette immense Première Sonate de York Bowen. On sait que le compositeur a écrit ses œuvres pour alto aux tout début du 20ème siècle et qu’elles sont destinées à un fameux altiste, Lionel Tertis (1876-1975), l’un des premiers solistes de l’instrument à atteindre une renommée internationale. C’est dire que ces œuvres ne concèdent rien à l’interprète et que tant au niveau de l’alto que du piano, instruments que Bowen pratiquait à un haut niveau, la technique mise en œuvre est très virtuose, peu conventionnelle, générant des doigtés et positions inconfortables et ardues.

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La musique, quant à elle, s’inscrit dans une perspective postromantique claire et un lyrisme tragique d’une sublime beauté. Son parcours harmonique, sinueux, subtil et très complexe, structure une sonate dont la forme, sans être révolutionnaire, semble s’apparenter à un labyrinthe. De modulation en modulation, la pensée musicale, très intense et dense pourrait mettre en difficulté les musiciens qui se risquent à en emprunter les chemins. Serait-ce là l’une des raisons de l’absence de cette œuvre du répertoire de la musique de chambre ? Vanessa Baldacci et Maud Renier ont compris la subtilité de cette musique et nous offrent une demi-heure de musique d’une rare intensité. Le public ne s’y trompe pas et acclame déjà nos deux musiciennes… comme un immense merci pour la découverte… et même la révélation d’une musique injustement négligée.

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Le concert s’achevait par les rares deux pièces, Adagio et Allegro op. 70 de Robert Schumann, un langage beaucoup plus familier aux mélomanes. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Cette musique n’est guère plus facile que les méandres de York Bowen. Schumann est toujours difficile. Techniquement et psychologiquement, il requiert une infaillibilité de jeu et une unité dans la dualité. En effet, la complexe personnalité du compositeur place souvent les musiciens en porte-à-faux. L’unité du duo doit se réaliser dans la formidable fusion entre l’alto et le piano qui ensemble, doivent jouer deux pièces si contrastées dans l’esprit. Eusébius le mélancolique et Florestan l’exubérant, les deux signatures de Robert Schumann, s’y côtoient. L’Adagio, tout rempli d’un amoureux et mélancolique lyrisme est contredit par la force tragique quasi mortifère de l’Allegro. L’esprit hofmannien plane à tout instant et l’affrontement de l’Homme et son Double n’est pas loin.

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Si on ne sort jamais indemne d’une œuvre de Schumann, nos virtuoses du jour ont réussi à nous faire percevoir cette ambivalence avec une justesse formidable. Le jeu jamais exagéré, mais superbement dosé, Vanessa et Maud évitent cependant de tomber dans une pudeur excessive et laissent chanter avec force leurs timbres chauds, passionnés, sensuels… visionnaires ! Bouleversant !

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Littéralement emportée dans les dédales de l’âme de Schumann, la salle très enthousiaste acclame nos héroïnes qui ont su nous faire voir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel en une belle heure de musique.

Elles nous gratifient encore d’une profonde et dernière émotion, toute en recueillement, cette fois. Elles entament, en guise de cerise sur le gâteau, le célébrissime Méditation de Thaïs de Jules Massenet dont la sublime mélodie et le lyrisme contemplatif plongent l’assemblée dans un envoûtant silence. La voix de l’alto se prête bien à ce chant et si l’on devine un étrange mystère dans le regard perdu au loin de Vanessa Baldacci et Maud Renier, c’est le chant de l’âme qui se déverse dans notre Salle 11. Le rêve s’achève, un tonnerre d’applaudissements s’abat sur l’U3A… sortant nos deux musiciennes des brumes de la musique.

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Billet certes lyrique pour un concert qui le fut tout autant, mais je voulais offrir de bon cœur mes encouragements les plus vifs pour ce nouveau et original duo, retenez bien son nom, le Duo Acanthia, qui s’engage sur le chemin difficile de la musique de chambre et, qu’à l’avenir nous retrouverons, c’est là une chose sûre, sur notre scène.