Un jour… Un chef-d’œuvre (223)

Ta joue est comme une moitié de grenade…

Le Cantique des cantiques

Le Caravage (1571-1610), Le repos pendant la Fuite en Égypte, 1596-97.

Dans le tableau, l’ange joue au violon une partition qui a été déchiffrée devant Joseph particulièrement ému. Il s’agit d’un motet en l’honneur de la Vierge, assimilée à l’épouse du Cantique des cantiques: l’œuvre, déjà ancienne puisque publiée en 1526, fut composée par un compositeur flamand, Noël Bauldeweijn.

Noël Bauldewijn (1480-1530), Quam pulchra es, motet interprété par l’Ensemble Ensemble Baschenis.

Noël Bauldeweijn est un compositeur né vers 1480, mort à Anvers en 1530. Son nom connaît plusieurs autres graphies : Baudouin, Balduin, Bauldeweyn, Baldwyn et Baldwijn. Son prénom est soit Noël, Nouel ou Natalis. Il fut maître de musique du jubé de la chapelle de la Sainte-Vierge, à la collégiale de Notre-Dame d’Anvers. (Wikipédia)

Le Caravage (1571-1610), Le repos pendant la Fuite en Égypte, 1596-97, détail de la partition.

Quam pulchra es (Cantique des Cantiques), texte français, extrait.

Que tu es belle, mon amie, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes, Derrière ton voile. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, Suspendues aux flancs de la montagne de Galaad.

Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues, Qui remontent de l’abreuvoir; Toutes portent des jumeaux, Aucune d’elles n’est stérile.

Tes lèvres sont comme un fil cramoisi, Et ta bouche est charmante; Ta joue est comme une moitié de grenade, Derrière ton voile.

Ton cou est comme la tour de David, Bâtie pour être un arsenal; Mille boucliers y sont suspendus, Tous les boucliers des héros.

Tes deux seins sont comme deux faons, Comme les jumeaux d’une gazelle, Qui paissent au milieu des lis.

Avant que le jour se rafraîchisse, Et que les ombres fuient, J’irai à la montagne de la myrrhe Et à la colline de l’encens.

Tu es toute belle, mon amie, Et il n’y a point en toi de défaut.

Le Caravage (1571-1610), Le repos pendant la Fuite en Égypte, 1596-97, détail de Marie et Jésus.

Le Cantique des cantiques – le chant par excellence (selon une tournure hébraïque) – apparait comme le plus beau des poèmes d’amour de la littérature universelle, plus éclatant encore que la Govinda Gîta, l’admirable pastorale érotique de l’Inde (12ème siècle). Cet érotisme flamboyant, s’il a conduit les mystiques aussi bien que certains poètes surréalistes, a souvent embarrassé les commentateurs et les traducteurs: l’austère Rancé, le réformateur de la Trappe au 17ème siècle, arrachait le poème des mains des religieuses.

Pourtant, il est clair qu’en faisant entrer ce chant de noces dans la Bible, la communauté juive, puis l’Église l’élevaient aussitôt au rang de parabole: le bonheur des amours humaines les plus intenses devenait l’ample image de l’amour entre l’âme et son Dieu, ou entre la communauté croyante et Celui qu’elle recherche avec angoisse et bonheur. Dans le Cantique se tressent les fils d’or qui, courant à travers toute la Bible, célèbrent la joie de la rencontre avec le Dieu personnel en recourant à l’image des fiançailles. Le Christ lui-même se présente comme l’époux du Cantique (Matthieu 25…). 

Ces poèmes, où le nom de Dieu n’est jamais prononcé, ne parlaient dès lors plus que de Lui.

On a longtemps attribué le Cantique au roi Salomon, mais l’exégèse contemporaine date l’œuvre des années 380-350 avant notre ère. L’élégance du style suggère un auteur unique, qui s’est peut-être inspiré de chants nuptiaux plus anciens. Après un court prologue, cinq poèmes brodent d’éblouissantes variations sur le désir et l’attente amoureuse, le jeu de cache-cache et la folle joie des retrouvailles.

Le Cantique des cantiques a été l’un des livres bibliques les plus souvent et les plus ardemment commentés dans l’histoire de l’Église, d’Oriège à saint Bernard ou à saint Jean de la Croix. Il a été ressenti comme le soleil de l’expérience chrétienne.

Philippe Sellier, La Bible expliquée à ceux qui ne l’ont pas encore lue, Paris, Seuil, 2007, pp. 134-135.