La Chanson anacréontique…

Le travail sur les grandes œuvres musicales peut parfois réserver d’étonnantes et amusantes découvertes qui, en fournissant à la culture générale quelques fruits substantiels, font prendre conscience que, décidément, les disciplines humaines ont une profondeur insoupçonnée.

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Photo officielle de l’Opéra royal de Wallonie

Ainsi, récemment, en travaillant sur ma conférence à propos de Madama Butterfly de G. Puccini, en ce moment sur la scène de l’Opéra royal de Wallonie, je décidai d’investiguer un peu sur les différentes couleurs locales que le compositeur place dans sa partition. S’il a pris la peine d’étudier quelques musiques japonaises et que les gammes pentatoniques, typiques de l’Asie, se présentent chaque fois qu’il est question de la pauvre Cio-Cio-San, des siens ou de son environnement, l’officier de la marine américaine, Benjamin Franklin Pinkerton est, lui, représenté par l’hymne américain qui devient vite le leitmotiv qui lui est associé.

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Photo officielle de l’Opéra royal de Wallonie

Jusque-là, il n’y a pas grand-chose à ajouter, c’est un procédé wagnérien bien efficace et merveilleusement mis en musique. Mais curieux de nature, je me suis interrogé sur l’histoire de cet hymne américain et ma première découverte fut que le fameux The Star-Spangled Banner (La Bannière étoilée), n’était, à l’époque de la composition de Madama Butterfly, que l’hymne de la marine américaine et pas du pays entier. Je parle, bien sûr, de la musique. B.F. Pinkerton et son leitmotiv ne représentent pas alors les USA dans leur globalité, mais la marine, particulièrement le navire USS Abraham Lincoln, un bateau fictif qui n’a strictement rien à voir avec son homonyme moderne, un gigantesque porte-avion à propulsion nucléaire lancé en 1988.

L’USS Puritan en 1898.

Le texte de The Star-Spangled Banner, lui, paru en 1814, est de la main de l’avocat américain Francis Scott (1779-1843). Il rend hommage à la résistance héroïque de ceux qui défendirent le fort McHenry à Baltimore, dans le Maryland, bombardé, en 1812, par des navires britanniques de la Royal Navy et qui firent flotter le drapeau américain sur sa cime malgré l’acharnement de l’ennemi à y planter le leur. Voici la première strophe de ce texte :

Hymne américain 1 texte original

Quant à la musique utilisée, elle est, paradoxalement, la reprise d’une chanson à boire d’un musicien britannique du Siècle des Lumières, John Stafford Smith qui la mit en musique en 1771. La chanson Anacréon au ciel, évoque le poète grec ancien, Anacréon (550 ACN- 464 ACN) « connu pour ses chansons à boire, mais où il incite toujours à une certaine modération permettant de garder sa lucidité. C’est ce qui inspira ce groupe de musiciens aimant la vie et la bonne humeur. La chanson aurait été un test de sobriété ; si les gens de cette société étaient capables de chanter un couplet de cette chanson, ils pouvaient alors continuer à boire. Ce club se réunissait dans la taverne « Crown & Anchor » sur Arundel Street, dans The Strand, à Londres. » Wikipédia

La partition originale en plus du chant indique des portées pour les chœurs, pour la guitare et pour la flûte traversière. Voici ses premiers vers et l’une de ses éditions originales sur laquelle on distingue bien la mélodie identique à l’hymne américain actuel :

Hymne américain 3 Anacréontic SongHymne américain 2 Partition chanson

Si la marine adopte cet hymne dès 1889, la Maison-Blanche reconnaîtra l’hymne de la marine en 1916 seulement et l’adoptera tardivement en 1931, comme l’hymne national des USA. La traduction officielle de la première strophe est celle-ci :

Hymne américain 4 Paroles officielles en français

Image illustrative de l’article The Star-Spangled Banner

… Mais en 1931, G. Puccini n’est plus de ce monde et le leitmotiv de Pinkerton n’a jamais représenté pour lui l’hymne américain. La nuance est intéressante car lorsque Sharpless, le consul d’Amérique à Nagasaki reprend le fameux « America forever » lancé, au 1er acte, sur l’hymne da la marine par son compatriote, il ne le chante pas sur les mêmes notes. Sa version est moins brillante et empreinte d’une certaine dramatisation. En effet, psychologiquement, le vaillant marin ne soupçonne pas, dans son éclat juvénile, la tragédie qu’il va générer, tandis que le consul la pressent et la redoute ! C’est là le génie du compositeur, maître de la moindre nuance.

On pourrait s’arrêter là, mais une délicieuse information complète l’histoire amusante de cet hymne si célèbre dans le monde entier et que Jimmy Hendrix interprètera, il y a tout juste cinquante ans, au Festival de Woodstock, en pleine guerre du Vietnam, comme un hurlement de douleur sorti de sa formidable guitare pleine de tragiques distorsions. Un épisode supplémentaire mérite un paragraphe de plus.

Si depuis 1895, le grand-duché de Luxembourg, état souverain et indépendant depuis 1839, a adopté un hymne original, Ons Heemecht (Notre patrie), celui qui était en vigueur avant cela n’était autre que la fameuse chanson anacréotique mentionnée ci-dessus… ce qui signifie que le Luxembourg a été le premier a utiliser cette mélodie comme l’hymne national d’un pays ! Puccini ne le savait sans doute pas, mais peu importe, à vrai dire car voilà une bien belle histoire qui, avec un sourire un peu ému et le sentiment que le gai savoir est toujours un enrichissement culturel. Mais la morale de l’histoire, c’est que, parfois, une souris peut accoucher d’un éléphant !

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Photo officielle de l’Opéra royal de Wallonie