Roger Joakim and Friends…

Une certaine fébrilité régnait dans la Salle 11 de l’U3A de Liège ce mercredi 18 décembre dernier. Une foule importante se pressait pour venir écouter le dernier concert de l’année 2019 où j’avais invité le baryton-basse liégeois bien connu, Roger Joakim, à nous proposer un programme de mélodies, d’airs d’opéras et de comédies musicales. Cette dernière séance était également mise, je l’écrivais dans mon dernier billet, sous le signe de la jeunesse, Roger ayant désiré, pour ma plus grande joie, de s’entourer de quelques uns de ses talentueux élèves.

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Merci à Jean Cadet pour toutes les photographies du concert

Dommage qu’Alexandre Contu, aphone, ait été obligé, à contrecœur, de se désister ! On aurait aimé l’accueillir également, mais la voix humaine est un instrument capricieux qui supporte mal les incessantes instabilités de la météo belge… Roger Joakim venait donc avec Florence Massoz, toute jeune soprano de 16 ans et Hugo Rase, un jeune baryton martin très prometteurs tous les deux. Geneviève Carli, magnifique pianiste et musicienne très sensible faisait tour à tour office d’accompagnatrice et d’orchestre imaginaire. Pour ma part, j’assurais le rôle d’un Monsieur Loyal en présentant brièvement quelques unes des musiques interprétées et lisais certains des textes au programme.

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Le récital débutait par le maître qui nous offrait le superbe Bestiaire de Francis Poulenc, six miniatures savoureuses sur des textes de Guillaume Apollinaire datant de 1911 et sous-titrés Cortège d’Orphée. Poulenc mit en musique 12 de ces textes en 1919 et, sur le conseil de Georges Auric, réduisit le cycle à six en vue d’une publication. Restèrent donc les poèmes savoureux Le Dromadaire, La Chèvre du Thibet, La Sauterelle, Le Dauphin, L’Écrevisse et La Carpe. Vous pourrez lire tous ces textes ici, mais voici, en guise de hors-d’oeuvre, l’un de ces merveilleux instantanés remplis d’allusions d’une rare profondeur :

L’Écrevisse

Incertitude, ô mes délices

Vous et moi nous nous en allons

Comme s’en vont les écrevisses,

A reculons, à reculons.

D’emblée, Roger montre sa profonde et subtile compréhension de la mélodie française et de sa prosodie si complexe. Tous les mots sont perceptibles et dosés. Sa voix conduit chaque texte dans la rhétorique qui lui est propre avec une superbe efficacité. Le piano de Geneviève Carli est un partenaire privilégié de cette merveilleuse musique.

Suivait immédiatement une des plus belles et mélancoliques mélodies de Gabriel Fauré, Berceaux, première pièce de l’opus 23. Une grande émotion remplissait la belle et grande voix de Roger qui, manifestement, fréquentait ce poème depuis longtemps… sans doute depuis que sa maman, la cantatrice très renommée, Mady Urbain, lui avait fait découvrir toutes ses subtilités. Superbe !

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Sous le coup de l’émotion, Florence Massoz montait sur scène pour entamer le fameux et si délicat Pie Jesu du Requiem du même Fauré. C’était la première fois qu’elle chantait devant une assemblée si nombreuses et l’on sentait, rien de plus normal, une petite anxiété… vite dissipée d’ailleurs ! Florence possède une belle voix, bien claire, bien nette. Certes elle doit encore s’ouvrir et s’épanouir, mais débuter ainsi avec une pièce d’une telle difficulté est un pari qu’elle remporte haut la main. L’émotion traverse la salle, ça et là coulent quelques larmes… Bravo Florence !

Roger reprend la parole en nous proposant deux sublimes mélodies du compositeur breton Guy Ropartz (1864-1955). Il s’agit de deux poèmes tirés de l’Intermezzo lyrique de Heinrich Heine traduits en français par Gérard de Nerval. Cet ensemble de 66 textes sont aussi la source des fameux Dichterliebe de Robert Schumann. Superbes, bouleversants et remplis de la mélancolie toute romantique, Pourquoi vois-je pâlir la rose parfumée et Ceux qui parmi les morts d’amour… évoquent les douleurs d’un chevalier-poète qui après la dissipation d’un rêve d’amour en reste profondément mélancolique… Roger nous subjugue. Non seulement son chant est magnifique, mais son émotion nous emporte dans cette Sehnsucht si bouleversante.

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Beaucoup plus connue, la fameuse Danse macabre de Camille Saint-Saëns exige non seulement une voix autoritaire mais aussi pleine de nuances. On sent que Roger Joakim est un homme de théâtre. Il vit sa musique et ses regards, ses gestes et attitudes accompagnent les moindres mots, ironiques, tragiques et diaboliques de cette danse effrénée.

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Le jeune baryton Hugo Rase monte en scène… après une telle prestation du maître, c’est intimidant ! À moins de proposer tout autre chose ! C’est ce qu’il fait en interprétant l’une des toutes premières mélodies de Claude Debussy, Nuit d’étoiles (1876) sur un poème de Théodore de Banville, sa première œuvre publiée. Ce n’est certes pas encore le Debussy de Pelléas et Mélisande (1893-1902) ou des Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé (1913), mais déjà on sent une sûreté d’écriture très prometteuse. Hugo Rase en est, lui aussi, à ses premières planches. Sa belle voix de baryton léger (martin, selon la terminologie qui associe ce type de voix au baryton français du 19ème siècle, Jean-Blaise Martin) se marie à merveille avec la juvénile musique nocturne du compositeur.

Dans une magnifique séquence W.A. Mozart, Roger Joakim monte sur scène avec Florence Massoz. Au programme, le sublime duo La ci darem la mano de Don Giovanni et Zerlina. Certes la différence de niveau entre le maître et l’élève est importante, mais Florence tient la réplique avec beaucoup d’à propos et montre aussi un beau talent d’actrice. Car l’art vocal opératique demande aussi de très bonnes dispositions scéniques. La jeunesse a du talent et confiée ainsi à un professeur lui-même rompu à la scène porte de très beaux fruits. C’est alors le moment de joie dans l’assistance avec l’incontournable et désopilant Air du catalogue que Roger chante avec toute la finesse humoristique et ironique voulue. Le public est ravi !

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Hugo Rase nous gratifie alors d’une superbe chanson Francesco Paolo Tosti, compositeur et professeur italien auteur de près de 500 mélodies et romances de salon à succès. Celle-ci, Partir, c’est mourir un peu, est l’une des plus connues et j’entends, dans le public, une personne qui la muse discrètement pendant que notre artiste se charge de lui donner une profonde beauté mélancolique.

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L’air du comte Des Grieux dans la Manon de Jules Massenet figure au panthéon des plus beaux airs pour basse de tout le répertoire français. Ce moment où le père rend visite à son fils entré par dépit amoureux dans les ordres religieux et tente de le convaincre de revenir à la vie profane est très touchant. Roger Joakim, avec une intense conviction est proche de nous tirer les larmes.

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Mais ce sont d’autres larmes, de bonheur, celles-là, lorsque Florence et Hugo se lancent dans la belle, émouvante et naïve chanson de Lisel et Rolf de la Mélodie du Bonheur (The Sound of Music), Tu as 16 ans…, de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II. Simplicité des premiers émois amoureux, jeux de cache-cache, flirts… la musique est belle ! … Un moment attendrissant pour les cœurs d’artichaut comme moi…

Puis, c’est La Quête, la chanson de Michel Leigh extraite de l’Homme de la Mancha adaptée par Jacques Brel. Un grand moment aussi que Roger nous offre avec une intensité inattendue et déployer avec une bouleversante puissance les derniers vers :

Brûle encore, bien qu’ayant tout brûlé

Brûle encore, même trop, même mal

Pour atteindre à s’en écarteler

Pour atteindre l’inaccessible étoile.

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Cette fois, la salle en ébullition acclame son héros du jour… le concert se dirige vers sa conclusion lorsque, par surprise, Geneviève Carli, qui avait porté toutes les prestations par son piano bienveillant et efficace, se lève de son tabouret et s’adresse au public. Roger en profite pour se glisser au clavier et les rôles s’inversent. Le chanteur devient pianiste et la pianiste se mue en diva… et de quelle manière ! Dans un des airs les plus rigolos du fameux Phi-Phi (en allusion à l’antique sculpteur Phidias) d’Henri Christiné, l’air d’Aspasie Bien chapeautée, Geneviève montre un incroyable talent vocal et une superbe présence, occupant l’espace au-devant de la scène avec une efficacité de comédienne ! Surpris et séduits, les mélomanes acclament celle qui reprend, immédiatement après le salut et en toute discrétion, sa place au piano pour débuter le final, péroraison et feu d’artifice de ce véritable spectacle.

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Et les choses sont telles qu’alors que Roger annonce l’air du Général Boum de la Grande Duchesse de Gerolstein de Jacques Offenbach, le public et nos deux jeunes talents se mettent à accompagner le refrain de leur « boum boum » hilarants. Un concert exceptionnel qui s’achève dans les rires et la bonne humeur, non sans avoir repris, en bis, cette dernière pièce digne d’un jour de l’an et en avoir parlé encore et encore en remerciant mille fois nos formidables musiciens du jour autour d’un bon vin chaud dans la cafétéria restée ouverte pour la circonstance ! Décidément, Musique à l’U3A, ce sont à chaque fois de nouvelles surprises et d’inédites émotions… Rendez-vous en février 2020 pour la suite de notre saison !

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