Un jour… Un chef-d’œuvre (157)

Je ne crois pas que les rois mêmes
Aient un bonheur pareil au mien.

Théophile de Viau (1590-1626), À Chloris

Gianmaria Benzoni (1809-1873), La Danse de Zéphyr et Chloris (Flora), 1870 (détail)

Gianmaria Benzoni (1809-1873) est né dans une famille humble près de Bergame, mais son incroyable talent de sculpteur a rapidement été remarqué par divers mécènes, ce qui lui a permis d’améliorer ses compétences et d’atteindre notoriété et richesse. En 1828, il s’installe à Rome, où il étudie à l’Academia di San Luca et ouvre plus tard un petit atelier. Avec le temps, son entreprise s’est suffisamment développée pour qu’il emploie une cinquantaine de tailleurs de pierre.

Le «Canova moderne» (comme on l’appelait à son époque) créa «Zéphyr dansant avec Chloris» en 1870. La déesse romaine des fleurs (où Chloris devient Flora) et la personnification du vent d’ouest furent des sujets très appréciés des peintres et sculpteurs tout au long de l’histoire de l’art – y compris Botticelli, Brueghel l’Ancien et Giambattista Tiepolo.

 

Reynaldo Hahn (1874-1947), À Chloris (1913), arrangement pour violon et piano interprété par Daniel Hope (violon) et Lise de La Salle (piano).

À Chloris

S’il est vrai, Chloris, que tu m’aimes,
Mais j’entends, que tu m’aimes bien.
Je ne crois pas que les rois mêmes
Aient un bonheur pareil au mien.

Que la mort serait importune
De venir changer ma fortune
À la félicité des cieux!

Tout ce qu’on dit de l’ambroisie
Ne touche point ma fantaisie
Au prix des grâces de tes yeux.

Théophile de Viau (1590-1626), À Chloris, Stances (première strophe mise en musique par R. Hahn)

Dans la mythologie grecque, Chloris (en grec ancien Χλωρίς / Khlōrís) est une nymphe des îles Fortunées (aujourd’hui Canaries). Son nom est un dérivé du mot grec χλωρός / khlōrós (vert), racine du mot chlorophylle. Elle est appelée Flore par les Romains.

 

Reynaldo Hahn (1874-1947), À Chloris (1913), version originale, interprétée par Susan Graham (mezzo) et Roger Vignoles (piano).

Reynaldo Hahn, né à Caracas en 1874 et mort à Paris en 1947, est un compositeur, chef d’orchestre, chanteur et critique musical français d’origine vénézuélienne, qui fut le principal compagnon de Marcel Proust.
« […] cet « instrument de musique de génie » qui s’appelle Reynaldo Hahn étreint tous les cœurs, mouille tous les yeux, dans le frisson d’admiration qu’il propage au loin et qui nous fait trembler, nous courbe tous l’un après l’autre, dans une silencieuse et solennelle ondulation des blés sous le vent. »

— Marcel Proust, Le Figaro, 11 mai 1903 (Wikipédia)

Gianmaria Benzoni (1809-1873), La Danse de Zéphyr et Chloris (Flora), 1870.

Pour en savoir plus…

Flore était autrefois Chloris, une nymphe des îles Fortunées d’une éclatante beauté. Le vent Zéphyr l’enleva d’un souffle enchanteur et l’emporta aux confins du monde occidental dans sa demeure. Il environna la belle d’un printemps éternel et lui donna en présent un jardin qu’elle fait briller de mille couleurs. Chaque année, cette déesse à la chevelure entremêlée de fleurs, fait renaître la nature engourdie par les longs mois d’hiver. Elle invente des semences aux teintes nouvelles qui s’épanouissent sous chacun de ses pas et s’illuminent du plus bel éclat. Pendant que le chant des oiseaux s’anime et redouble de plaisir, l’herbe tendre des prairies reverdit. Partout sur la terre on voit éclore les fleurs sauvages et les rameaux se parer de feuilles verdoyantes. […]

Ses soupirs langoureux agitent les feuillages et les ondes frémissent d’un doux murmure. Aussi, dès l’aube, les Heures et les Charites se pressent dans le jardin de Chloris pour assembler en bouquet, les fleurs baignées de rosée aux émanations musquées et aux coloris sans pareil, qui orneront la chevelure des divinités. Nul n’échappe aux charmes et aux sortilèges de ces deux amants folâtres qui grisent les sens et raniment dans les cœurs, l’amour et les plaisirs que le printemps inspire ! Mais la puissance et les pouvoirs de Flore ne s’arrêtent pas aux guirlandes fleuries et aux semences.

Souveraine, elle fait apparaître et jaillir des blessures du corps et de l’âme, la grâce et l’élégance. Elle transforme les gouttes de sang de l’infortuné Adonis, blessé mortellement par un sanglier, en une magnifique anémone pourprée. Des amours touchants de la nymphe Smylax et de Crocus, elle fait éclore chaque année une petite fleur odorante et colorée qui porte le nom du tendre amant. De la mort tragique du jeune Hyacinthe, le plus cher compagnon d’Apollon, une jacinthe sort de terre pour qu’il puisse revivre éternellement. Elle changea Narcisse qui inclinait sans fin son beau visage au-dessus des eaux pour s’admirer, en une fleur poétique et nouvelle qui meurt la tête penchée. C’est ainsi qu’au retour des beaux jours, Flore et Zéphyr étendent leur règne sur la nature et la pare de ses plus beaux atours. […]

Muriel Lefaucheux, extraits du texte paru le 20 mars 2017 sur le blog Zimzimcarillon.

Gianmaria Benzoni (1809-1873), La Danse de Zéphyr et Chloris (Flora), 1870.