Un jour… Un chef-d’œuvre (136)

Et c’est justement parce que c’est absurde que je le crois.

Hector Berlioz (1803-1869)

Christof Monnin (né en 1968), Pianiste, 2017.

CINQUIÈME ET DERNIER ÉPISODE

M. Érard arrive ; il a beau faire, le piano, qui ne se connaît plus, ne le reconnaît pas davantage. Il fait apporter de l’eau bénite, il en asperge le clavier, rien n ‘y fait : preuve qu’il n’y avait point là de sortilège et que c’était un effet naturel des trente exécutions du même concerto. On démonte l’instrument, on en ôte le clavier qui remue toujours, on le jette au milieu de la cour du Garde-Meuble, où M. Érard furieux le fait briser à coups de hache. Ah bien oui ! c’était pire encore, chaque morceau dansait, sautait, frétillait de son côté, sur les pavés, à travers nos jambes, contre le mur, partout, tant et tant, que le serrurier du Garde-Meuble a ramassé en une brassée toute cette mécanique enragée et l’a jetée dans le feu de sa forge pour en finir. Pauvre M. Érard ! un si bel instrument ! Ça nous fendait le cœur à tous. Mais qu’y faire ? il n ‘y avait que ce moyen de nous en délivrer ; aussi, un concerto exécuté trente fois de suite dans la même salle le même jour, le moyen qu’un piano n’en prenne pas l’habitude ! Parbleu ! M. Mendelssohn ne pourra pas se plaindre qu’on ne joue pas sa musique ! mais voilà les suites que ça vous a. »

Je n’ajoute rien au récit que l’on vient de lire, et qui a tout à fait l’air d’un conte fantastique. Vous n’en croirez pas un mot sans doute, vous irez jusqu’à dire : C’est absurde. Et c’est justement parce que c’est absurde que je le crois, car jamais un garçon du Conservatoire n’eût inventé une telle extravagance.

Hector Berlioz, Les Soirées de l’orchestre, 1852.

2020 fuit, 2021 la remplace!… Je vous la souhaite pleine de santé, de nuances… et de musique(s)!

 

Félix Mendelssohn (1809-1847), Chant de Nouvel An tiré de 6 Lieder pour voix op. 88, interprété par le Chœur de Chambre de Stuttgart, dirigé par Frieder Bernius.

Avec joie, la douleur voyage, 
Intimement présente à tous les âges de la vie,
Les fortes tempêtes, le doux vent d’ouest,
Les angoisses indicibles et les fêtes joyeuses
Marchent côte à côte.

Mais là où tombent beaucoup de larmes,
Une rose fleurit également;
Sans qu’on le demande
Les douleurs et les joies
Sont le lot de tous les hommes
Sur les trônes comme dans les taudis.

N’était-ce pas déjà ainsi dans la vieille année?
Cela cessera-t-il par la nouvelle?
Les soleils se lèveront et se coucheront toujours,
Les nuages partent mais reviennent à chaque fois,
Et aucun vœu ne changera les choses.

Puisse alors que Lui, qui nous
Pèse sur une juste balance,
Donne à chacun le sens de ses joies,
Et à chacun le courage pour ses peines,
tout au long des nouveaux jours.

Donnez à tout le monde, sur le chemin de la vie,
Un ami à ses côtés,
Un esprit en éveil,
Et pour la bonté tranquille du cœur
L’assiduité de l’espoir.

Traduction française du lied composé sur un poème de Johann Peter Hebel (1760-1826).

Épilogue… la triste et vraie fin de Pierre Érard (1794-1855)

Pierre Érard meurt, sans enfant, en 1855 de la maladie d’Alzheimer qui n’était pas nommée à cette époque, décrite ainsi dans la notice nécrologique publiée dans La France musicale du 2 septembre 1855.

« Sa tête s’était affaiblie, et il ne reconnaissait plus ses amis. […] Le cœur bat, mais la tête ne pense plus; une ombre couvre les yeux, toute l’intelligence s’en va; le sentiment de ce qu’on a été, de ce qu’on est, de ce qu’on vaut, s’en va aussi; on n’est plus qu’un flambeau sans flamme dont les dernières lueurs vont se perdre une à une dans les nuages de l’éternité. […] Bientôt une exaltation fiévreuse envahit son cerveau fatigué; on s’aperçut que par moment sa tête se perdait dans les plus étranges divagations; on dut l’empêcher de s’occuper des affaires de sa fabrique. Ses amis allaient le voir, et il leur tenait les plus singuliers discours. Pour ceux qui arrivaient là sans se douter de la gravité de sa situation, c’était un spectacle bien affligeant. Sa famille ne l’abandonnait point un moment; les ouvriers, les contre-maîtres, les employés, pour lesquels il avait eu toujours une affection paternelle, ne laissaient point passer un jour sans s’informer de son état; mais, hélas, on ne voyait que trop les ravages que la douleur creusait sur sa physionomie. Ses yeux étaient sans cesse plongés dans l’égarement, et durant les derniers mois, ses jambes affaiblies ne pouvaient plus soutenir son corps. Il avait des hallucinations continuelles.  » (Wikipédia)

Pierre Érard en 1820.