Un jour… Un chef-d’œuvre (194)

Les « vague à l’âme » que seule jusqu’ici la musique rendait…

Émile Verhaeren (1855-1916)

Pierre Puvis de Chavannes(1824-1898), «Le rêve», 1883.

Louis Vierne (1870-1937), Deux pièces pour alto (1895), 1. Le soir: Andante quasi adagio, interprétées par Daniel Weissmann (alto) et Peter Petrov (piano).

Un recul formidable de l’imagination moderne vers le passé, une enquête scientifique énorme et des passions inédites vers un surnaturel vague et encore indéfini nous ont poussés à incarner notre rêve et peut-être notre tremblement devant un nouvel inconnu dans un symbolisme étrange qui traduit l’âme contemporaine comme le symbolisme antique interprétait l’âme d’autrefois.

Seulement nous n’y mettons point notre foi et nos croyances, nous y mettons, au contraire, nos doutes, nos affres, nos ennuis, nos vices et probablement nos agonies.

Les maîtres symbolistes de ce temps, les Gustave Moreau, Puvis de Chavannes et les Rops n’ont rien de la sérénité des anciens maîtres. Aucun d’eux ne pri les dieux ni ne craint les démons qu’il sublimise. Ils sont torturés des passions et des mélancolies de leur temps […].

À cette heure où les cerveaux subtils saisissent avec une si étonnante lumière les correspondances et où nos sensations et nos sentiments se parlent certes, mais tout autant se rythment et s’harmonisent, si bien que la poésie est picturale et musicale autant que littéraire, n’y aurait-il point à rendre également en peinture les impressions et les « vague à l’âme » que seule jusqu’ici la musique rendait? En littérature on y est parvenu. Nous insistons sur ce point, d’abord parce que nous sommes partisans de la compénétration des arts, ensuite parce que nous croyons que seule la plastique symbolique peut résoudre le problème. […] L’expression violente du cœur a été donnée par le romantisme, l’expression raffinée, discrète, rare de ce même cœur, voilé de rêve, doit être produite à son tour. Et ce seront les sphinx, les anciens rois et les reines fabuleuses, et les légendes et les épopées qui nous serviront à nous faire comprendre; ce seront eux parce qu’ils s’imposent avec le despotisme du souvenir; avec le grandissement séculaire et que nous nous voyons mieux à travers la transparence de leur mythe.

Émile Verhaeren, Silhouettes d’artistes, L’art moderne, le 12 septembre 1886, cité par Jean-Nicolas Illou, Le Symbolisme, Paris, Le Livre de Poche, Coll. Références, 2004, pp.249-250.

Louis Vierne (1870-1937), Deux pièces pour alto (1895), 2. Légende: Allegretto, interprétées par Daniel Weissmann (alto) et Peter Petrov (piano).

William Degouve de Nuncques (1867-1935), Les Anges dans la nuit, 1894.

Encouragé par Rodin, William Degouve de Nuncques expose pour la première fois en 1890 à Bruxelles. Il montre au Salon de Paris de 1894 la toile Place du Warichet à Perwez, peinte en 1889, qui se vend immédiatement. Il épouse la belle-sœur d’Émile Verhaeren, l’artiste-peintre Juliette Massin, renforçant ainsi ses liens avec les milieux symbolistes, dont notamment Fritz Thaulow, Maurice Denis et Pierre Puvis de Chavannes, dont il apprécie les œuvres au climat de sourde mélancolie. La notion d’allégorie rejoint sa conception du symbolisme en alliant suspension du flux temporel, théâtralisation de l’espace voué au spirituel, volonté de sortir de l’histoire et désir de fonction poétique. Il se singularise pourtant de son modèle par un rejet quasi général de la figure humaine, laissant apparaître le recueillement par une mise en retrait de toute individualité.