Un jour… Un chef-d’œuvre (254)

…tout se terminant dans la gloire du soleil couchant.

Antoine Watteau (1684-1721), Le Pèlerinage à l’Île de Cythère, 1717.

François Couperin (1668-1733), Le Carillon de Cythère (14ème ordre), interprété par Alexandre Tharaud au piano.

 

Que font les personnages du tableau? Le titre, Le Pèlerinage à l’île de Cythère, peut signifier qu’ils s’apprêtent à partir pour l’île ou, au contraire, qu’ils y sont déjà. Dans Le Pèlerinage, la proue est tournée vers le rivage. La barque propulsée par des perches, n’est donc affectée qu’à des déplacements en eau peu profonde. Dans l’Embarquement, la poupe touche la rive, la proue est tournée vers le large. La barque est équipée de d’un mât et de voiles et permet donc des traversées maritimes…

Antoine Watteau, L’Embarquement pour Cythère, 1718.

Un buste de femme sur un socle s’achevant en gaine ou terme. Ainsi nommé d’après les statues du dieu Terminus qui marquaient les bornes. Nous sommes peut-être à la frontière du territoire de Vénus.

Mais le paysage du Pèlerinage est ambigu: le plan d’eau est étroit et refermé, ceint en partie de hautes montagnes. De même, dans l’Île enchantée, Watteau montre un paysage refermé sur une pièce d’eau. Peut-être le peintre s’est-il inspiré des récits de voyage ou des cartes qui faisaient de Cythère une île aux côtes plus découpées et aux montagnes plus élevées que dans la réalité. L’île de Cythère, à l’époque, sous le nom de Cerigo est une colonie vénitienne. La barque du tableau est une sorte de gondole.

L’éclairage vient de la gauche, les ombres sont longues. Mais faute d’autres repères, il est impossible de dire s’il s’agit du petit matin ou du soir. De même, les arbres mêlent dans leurs feuillages les couleurs du printemps à celles de l’automne. Les personnages ne participent pas à une action précise mais pourtant, soudés par une ligne arabesque, ils forment comme une guirlande prolongeant les guirlandes de la statue de la barque.

[…]

Aphrodite est la déesse grecque de l’amour. Elle sera Vénus chez les romains. Le mythe raconte qu’elle est née de l’écume de la mer. Portée par les Zéphyrs, elle aborde à l’île de Cythère avant de s’établir à Chypre. Chez Watteau, les allusions à l’île d’amour et aux pèlerinages reviennent souvent. L’Île enchantée. Les Jardins de Cythère. La Pèlerine altérée. Les Amusements de Cythère. Bon voyage.

L’Île de Cythère. Des groupes de pèlerins sont prêts à s’embarquer dans une sorte de gondole conduite par des Amours. La tenue des pèlerins, la situation de l’arbre, de la barque, des montagnes, annoncent le Pèlerinage. Il a été proposé de voir dans ce tableau l’illustration d’une comédie de Dancourt, Les Trois Cousines. Dans le divertissement final, les garçons et les filles du village, vêtus en pèlerins chantent:

Venez dans l’île de Cythère
En Pèlerinage avec nous…
Jeune fille n’en revient guère
Ou sans amant ou sans époux.

Bien d’autres spectacles de l’époque auraient pu inspirer Watteau. L’année même du pèlerinage, François Couperin compose Le Carillon de Cythère. Le voyage vers Cythère avait aussi engendré de nombreux romans.

Dans un des grands livres de l’époque, Les Aventures de Télémaque de Fénelon, le jeune Télémaque, fils d’Ulysse, aborde à Chypre et fait une excursion à Cythère.

Avant Watteau, toutes ces aventures avaient été illustrées par Bernard Picart, dans diverses scènes galantes. Il traite à plusieurs reprises du thème, sans doute une des sources de Watteau.

Alain Jaubert, Palettes, Paris, Gallimard, Folio, 1998, pp. 185-188.

Claude Debussy (1862-1918), L’Îsle joyeuse, 1904, interprétée par Alexis Weissenberg au piano.

Claude Debussy compose cette pièce entre 1903 et août 1904. Elle est créée par Ricardo Viñes à Paris en 1905. L’Isle joyeuse a été inspirée par Le Pèlerinage à l’île de Cythère. Le compositeur revient dans une lettre du 13 juillet 1914 à Désiré Walter sur sa source d’inspiration et précise :

« On y rencontre des masques de la comédie italienne, des jeunes femmes chantant et dansant ; tout se terminant dans la gloire du soleil couchant. »