Un jour… Un chef-d’oeuvre! (68)

« La planche sur laquelle l’oeuvre a été peinte a été préparée par Conrad Graf lui-même à partir de ses meilleurs bois de table d’harmonie. »

J.F. Castelli, publié dans le journal « Wiener Zeitung », mai 1840.

69a. Joseph Danhauser, Franz Liszt au piano.

Joseph Danhauser (1805-1845), Franz Liszt au piano, 1840.

Franz Liszt (1811-1886) / Ludwig van Beethoven (1770-1827), Symphonie n°7, Allegretto, Transcription pour piano de F. Liszt, interprété par Konstantin Scherbakov.

« Salon d’artiste élevé au rang d’icône, mais en fait salon de facteur de pianoforte, celui qui est représenté dans Liszt au piano, le grand tableau du peintre à la mode Joseph Danhauser (1805-1845), est celui de Conrad Graf (1782-1851), l’un des plus éminents fabricants de la capitale viennoise. Il est voisin de l’artiste dans la Mondscheinhaus, une ancienne salle de bal entièrement réaménagée par ses soins pour offrir tout l’espace nécessaire à sa manufacture florissante. Facteur de la Cour, Graf lui passe commande pour commémorer, avec un sens tout publicitaire, la tournée de concerts de Liszt à Vienne entre 1838 et 1840 – on lit en bas de la toile « Sur commande de Conrad Graf/ En souvenir de Liszt« .

Le salon composé par Danhauser se veut à la fois parisien par ses acteurs et viennois par ses emblèmes musicaux. On y reconnait une grande partie du cénacle qui entoure Liszt à Paris: d’un côté les écrivains (Alexandre Dumas père, George Sand, Victor Hugo), de l’autre les musiciens (Rossini et Paganini, incarnation de la musique italienne dans la capitale française durant les années 1830), tandis que Marie d’Agoult, assise aux pieds de son idole, renforce la monumentalité de ce portrait de groupe. Dans son article décrivant le tableau, paru dans la Wiener Zeitung de mai 1840, Ignaz Franz Castelli – l’un des meilleurs défenseurs du milieu artistique parisien – considère que le salon est celui de Liszt à Paris, et que les portraits sont ressemblants bien qu’ils n’aient été exécutés que « d’après des estampes et des lithographies ». Il dit vrai, car nous avons pu retrouver tous les modèles gravés que Danhauser pouvait se procurer à Vienne à l’époque. Avec ce cénacle parisien réuni autour d’un grand modèle de piano viennois parmi les plus emblématiques du moment (un instrument de Graf identique à celui du tableau est conservé au Kunsthistorische Museum de Vienne), il s’agit de montrer que Liszt n’est pas que le porte-flambeau de la firme Érard, mais bien aussi celui de Graf et de ses prestigieux ateliers viennois.

69c. Joseph Danhauser, Franz Liszt au piano, 1840, détail.

Joseph Danhauser (1805-1845), Franz Liszt au piano, 1840, détail.

La dimension symbolique de ce salon se déchiffre dans nombre de détails: la présence du buste de Beethoven, posé sur le piano, exécuté par Danhauser lui-même vers 1827 (c’est moi qui ajoute: il se pourrait que ce ne soit pas le buste de Danhauser qui figure sur la peinture, mais celui d’Anton Dietrich (1799-1872)), une hypothèse souvent évoquée ou encore un mélange des deux); sur le pupitre du piano, la partition fermée de la Marcia funebre sulla morte d’un Eroe de Beethoven, ainsi qu’une Fantaisie de Liszt, ce dernier montrant ainsi sa dette envers son mentor.

69. Joseph Danhauser, Buste de Beethoven, 1827a (Bonn)

Joseph Danhauser, Buste de Beethoven, 1827 conservé à Bonne dans la Maison de Beethoven.

À gauche, le buste de la peinture et à droite le buste exposé à Bonn.

Sous le piano, des cahiers de musique et notamment quelque étude ou exercice dédicacé par Carl Czerny à son élève Liszt. Au mur, un portrait de Lord Byron, qui fut l’un des poètes favoris du pianiste. Sur la cheminée, la statuette de Jeanne d’Arc en pierre, réplique de l’oeuvre célèbre de Marie d’Orléans qui circula à partir de 1835 dans divers formats, et qui devint une figure emblématique, même à l’étranger, de la France libérée. Cette réunion imaginaire d’artistes autour du piano deviendra rapidement un archétype utilisé quelques années plus tard par Josef Kriehuber, et pendant toute la seconde moitié du siècle par Moritz von Schwind dans ses diverses schubertiades peintes. »

Florence Gétreau, Voir la Musique, Paris, Éditions Citadelles et Mazenod, 2017, p. 330-333.

Ludwig van Beethoven, Sonate No.12 en La bémol Majeur, Op.26 – 3. Marcia funebre sulla morte d’un Eroe, interprétée par Emil Gilels.

69d. Josef Kriehuber (1800 - 1876), Une matinée chez Franz Liszt.

Josef Kriehuber (1800 – 1876), Une matinée chez Franz Liszt, 1846.

De gauche à droite : Joseph Kriehuber, Hector Berlioz, Carl Czerny, Franz Liszt au piano, Heinrich Wilhelm Ernst tenant son violon.